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Café à la québécoise

J’ai récemment publié un très long billet sur la scène du café à Montréal. Sans doûte à cause de sa longueur, ce billet ne semble pas avoir les effets escomptés. J’ai donc décidé de republier ce billet, section par section. Ce billet est la troisième section après l’introduction et une section sur les cafés italiens de Montréal. Cette section se concentre sur une certaine spécificité québécoise de la scène montréalaise du café.

La scène du café à Montréal comporte plusieurs autres institutions qui ne correspondent pas vraiment à l’image du café italien. Certains de ces endroits peuvent même servir de base à la «Renaissance du café à Montréal».

Dans l’ensemble, je dirais que ces cafés sont typiquement québécois. Pas que ces cafés soient vraiment exclusifs au Québec mais il y a quelque-chose de reconnaissable dans ces cafés qui me fait penser au goût québécois pour le café.

Comme les intellos de Montréal ont longtemps eu tendance à s’identifier à la France, certains de ces cafés ont une tendance française, voire parisienne. Pas qu’on y sert des larges bols de “café au lait” (à base de café filtre) accompagnés de pain sec. Mais le breuvage de base ressemble plus au café français qu’au café italien.

D’après moi, la référence à la France a eu beaucoup d’influence sur la perception des cafés montréalais par des gens de l’extérieur. Pour une large part, cette référence était plutôt une question d’ambiance qu’une question de caractéristiques gustatives et olfactives précises. Dans un café montréalais, des Nord-Américains ayant passé du temps en France pouvaient se «rappeler l’Europe». La Rive-Gauche à l’Ouest de l’Atlantique.

Pour revenir au mode «mémoires», je pense tout d’abord à la Brûlerie Saint-Denis comme institution montréalaise de ce type. Vers la fin de mon adolescence, c’est par l’entremise de la compagne de mon frère (qui y travaillait) que j’ai connu la Brûlerie. À l’époque, il s’agissait d’un café isolé (au cœur du Plateau, qui n’était pas encore si «chromé») et non d’une chaîne avec des succursales dispersées. Ce dont je me rappelle est assez représentatif d’une certaine spécificité québécoise: un «allongé» de qualité.

L’allongé (ou «espresso allongé») n’est pas exclusif au Québec mais c’est peut-être le breuvage le plus représentatif d’un goût québécois pour le café.

En Amérique du Nord, hors du Québec, l’allongé a généralement mauvaise réputation. Selon plusieurs, il s’agit d’une surextraction de l’espresso. Avec la même quantité de café moulu que pour un espresso à l’italienne d’une once, on produit un café de deux onces ou plus en laissant l’eau passer dans le café. «Toute chose étant égale par ailleurs», une telle surextraction amène dans la tasse des goûts considérés peu agréables, comme une trop grande amertume, voire de l’astringence. En même temps, la quantité de liquide dans la tasse implique une dillution extrême et on s’attend à un café «aqueux», peu goûteux.

Pourtant, je me rappelle de multiples allongés, presque tous dégustés au Québec, qui étaient savoureux sans être astringents. Selon toute logique, ce doit être parce que la mouture du café et le mélange de grains de café ont été adaptés à la réalisation d’un allongé de qualité. Ce qui implique certaines choses pour l’«espresso serré» (ou «espresso court», donc non-allongé) s’il est réalisé avec la même mouture et le même mélange. Même à Montréal, il est rare d’avoir dans le même café un excellent espresso court et un excellent allongé.

Mais parmi les Montréalais amateurs de café, l’allongé «a la cote» et les cafés montréalais typiques font généralement un bon allongé.

Selon mon souvenir, l’allongé de la Brûlerie Saint-Denis était de qualité. J’ai eu de moins bonnes expériences à la Brûlerie depuis que l’entreprise a ouvert d’autres succursales, mais c’est peut-être un hasard.

Une autre institution de la scène montréalaise du café, situé sur le Plateau comme la Brûlerie Saint-Denis à l’origine, c’est le café Aux Deux Marie. Le Deux Marie aujourd’hui ressemble beaucoup à mon souvenir de la Brûlerie Saint-Denis. Comme à la Brûlerie, j’y ai bu des allongés de qualité. C’est au Deux Marie que j’ai découvert certains «breuvages de spécialité» (“specialty drinks”, comme les appelle le World Barista Championship). Ces breuvages, à base d’espresso, contiennent des fruits, des épices, du chocolat et d’autres ingrédients. Si je me rappelle bien, la Brûlerie fait le même genre de breuvage mais je ne me rappelle pas en avoir remarqué, il y a une vingtaine d’années.

Il y a plusieurs autres «cafés à la québécoise». Dans les institutions connues, il y a La Petite Ardoise (tout près d’Outremont, sur Laurier). C’est d’ailleurs mon premier lieu de travail puisque j’y ai été plongeur, à la fin du secondaire (1988-9). C’est un «café bistro terrasse» assez typique de la scène culinaire montréalaise. Le cappuccino et l’allongé étaient très populaires (si je me rappelle bien, on les appelait «capp» et «all», respectivement). Et je me rappelle distinctement d’une cliente d’un autre café s’enquérir de la présence du «mélange de la Petite Ardoise». Honnêtement, je n’ai aucune idée sur ce que ce mélange comprenait ni sur la maison de torréfaction qui le produisait. Ma mémoire olfactive conserve la trace du «café de la Petite», surtout que le café était la seule chose que je pouvais consommer gratuitement quand j’y travaillais. La dernière fois que j’ai bu un café à La Petite Ardoise, il a titillé ma mémoire gustative mais je crois quand même qu’il a beaucoup changé, au cours des vingt dernières années.

Une autre institution typique, le Santropol (qui est aussi connu pour ses sandwiches et tisanes). Il y a quelques années, le Santropol a commencé à torréfier du café à large échelle et leurs cafés sont désormais disponibles dans les épiceries. Mon souvenir du café au Santropol se mêle à l’image du restaurant lui-même mais je crois me rappeler qu’il était assez représentatif du café à la québécoise.

Il y a plusieurs autres endroit que j’aurais tendance à mettre dans la catégorie «café à la québécoise», depuis La Petite Patrie jusqu’à Westmount, en passant par Villeray et Saint-Henri. Mais l’idée de base est surtout de décrire un type d’endroit. Il y a une question d’ambiance qui entre en ligne de compte mais, du côté du goût du café, la qualité de l’allongé est probablement le facteur le plus déterminant.

Ce qui surprend les plus les amateurs de café (surtout ceux qui ne sont pas nés à Montréal), c’est de savoir que j’ai dégusté des allongés de qualité dans un café de la chaîne Café Dépôt. Pour être honnête, j’étais moi-même surpris, la première fois. En général, les chaînes ont énormément de difficulté à faire du café de très haute qualité, surtout si on considère la nécessité de fournir toutes les succursales avec le même café. Mais je suis retourné à la même succursale de Café Dépôt et, à plusieurs reprises, j’ai pu boire un allongé qui correspond à mes goûts. D’ailleurs, j’aurais dit la même chose de certains cafés dégustés à une succursale de la chaîne Van Houtte. Mais c’était il y a plus de dix ans et Van Houtte semble avoir beaucoup changé depuis.

Café à la montréalaise

Montréal est en passe de (re)devenir une destination pour le café. Mieux encore, la «Renaissance du café à Montréal» risque d’avoir des conséquences bénéfiques pour l’ensemble du milieu culinaire de la métropole québécoise.

Cette thèse peut sembler personnelle et je n’entends pas la proposer de façon dogmatique. Mais en me mêlant au milieu du café à Montréal, j’ai accumulé un certain nombre d’impressions qu’il me ferait plaisir de partager. Il y a même de la «pensée magique» dans tout ça en ce sens qu’il me semble plus facile de rebâtir la scène montréalaise du café si nous avons une idée assez juste de ce qui constitue la spécificité montréalaise.

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