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Santé encourageante

Il y a un an, jour pour jour, aujourd’hui, j’étais dans un piteux état, physiquement. Aujourd’hui, je suis dans la meilleure forme physique que j’ai été depuis au moins dix ans. Une chance que j’ai eu un peu d’encouragement.

J’hésite à écrire ce billet. Bloguer à propos de ma santé a pas toujours des effets très positifs. Mais je crois que c’est important, pour moi, de décrire tout ça. Pour moi-même, d’abord, parce que j’aime bien les anniversaires. Mais pour les autres, aussi, si ça peut les encourager. J’espère simplement que ça peut m’aider à parler moins de santé et de me concentrer sur autres choses. Avec une énergie renouvelée, je suis prêt à passer à d’autres étapes. Peu importe ce qui arrive, 2014 risque d’être une année très différente de 2013.

Depuis plusieurs années, ma condition physique  a été une source de beaucoup de soucis et, surtout, de découragement. Il y a près de vingt ans, j’ai commencé à souffrir de divers problèmes de santé. Jusqu’à maintenant, j’ai aucune idée de ce qui s’est vraiment passé. Ma période la plus sombre a débuté par un ulcère d’estomac qui fut suivi de reflux gastro-œsophagien. Par la suite, j’ai subi des problèmes chroniques sur lesquels je n’élaborerai plus (l’ayant fait plus tôt),  que j’ai trouvé particulièrement handicapants. Je commence à peine à me sortir de tout ça. Et ça dure depuis mon deuxième séjour au Mali, en 2002.

À plusieurs reprises au cours de ces années, j’ai pris la décision de prendre ma santé en main. Pas si facile. J’avais toute la motivation du monde mais, au final, assez peu de support.

Oh, pas que les gens aient été de mauvaise volonté. Mes amis et mes proches ont fait tout ce qui leur était possible, pour m’aider. Mais c’est pas facile, pour plusieurs raisons. Une d’entre elles est que je suis «difficile à aider», en ce sens que j’accepte rarement de l’aide. Mais le problème le plus épineux c’est que l’aide dont j’avais besoin était bien spécifique. Beaucoup de choses que les gens font, de façon tout-à-fait anodine, ont surtout un impact négatif sur moi. Pas de leur faute, mais une petite phrase lancée comme si de rien n’était peut me décourager assez profondément. Sans compter que ces gens ne sont pas spécialistes de mes problèmes et que j’avais besoin de spécialistes. Au moins, un médecin généraliste ou autre professionnel de la santé (agréé par notre système médical) qui puisse me comprendre et me prendre au sérieux. Ma condition avait pu s’améliorer grâce à diverses personnes mais ces personnes n’ont que peu de possibilité d’agir, dans notre système de santé. Mon médecin de famille ayant arrêté de pratiquer, il me manquait une personne habilitée à m’aider en prenant mon cas en main.

C’est beaucoup ce qui s’est passé, en 2013, pour moi. C’est en ayant accès à quelques spécialistes que j’ai pu améliorer ma santé. Et tout ça a commencé le 3 janvier, 2013.

Je revenais de passer quelque-chose chez mon frère, à Aylmer. Ces quelques jours ont été très pénibles, pour moi. Je souffrais d’énormes maux de têtes, qui avaient commencé à se multiplier au cours des mois précédents et mes problèmes d’œsophage étaient tels que je n’en arrivais plus à dormir. Mes autres problèmes me décourageaient encore plus. Vraiment, «rien n’allait plus».

Pourtant, j’avais déjà fait beaucoup d’efforts pour me sentir mieux, pendant des années.  Des efforts qui ne portaient fruit que sporadiquement et qui ne se remarquaient pas vraiment de l’extérieur. Une recette pour le découragement. Ma santé semblait sans issue. Dans de telles situations, «les gens» ont l’habitude de parler de résignation, de pointer vers leurs propres bobos, de minimiser la souffrance de l’autre… Normales, comme réactions. Mais pas très utiles dans mon cas.

Les choses ont commencé à changer dans la soirée du 3 janvier. Sachant que mes maux de tête pouvaient avoir un lien à l’hypertension, me suis acheté un tensiomètre à la pharmacie.

Tensio

À 20:53, le 3 janvier 2013, j’ai fait une lecture de ma tension artérielle.

Systolique: 170
Diastolique: 110

Pas rassurant. Ni encourageant.

J’ai appelé la ligne Info-Santé, un service téléphonique inestimable mais sous-estimé qui est disponible au 811 partout au Québec. L’infirmière qui m’a répondu m’a encouragé, comme elles le font souvent, de consulter un médecin. Elle m’a aussi donné plusieurs conseils et donné de l’information au sujet des moments où ce serait réellement urgent de consulter dans les plus brefs délais. Pour certains, ça peut paraître peu. Mais, pour moi, ç’a été la première forme de support dont j’ai bénéficié pendant l’année. Le premier encouragement. Enfin, ma condition était suffisamment sérieuse pour que je sois pris au sérieux. Et de l’aide est disponible dans un tel cas.

C’est donc le lendemain, 4 janvier 2013, que je suis allé consulter. C’est un peu à ce moment que «ma chance a basculé». L’infirmière d’Info-Santé m’avait donné le numéro d’une clinique sans rendez-vous assez près de chez moi. Cette clinique offre un service d’inscription par téléphone, qui fait office de rendez-vous sans en être un. En appelant ce numéro tôt le matin, j’étais en mesure de me réserver une place pour voir un médecin dans une certaine plage horaire. J’ai donc pu consulter avec le Dr Anthony Rizzuto, en ce beau jour du 4 janvier 2013.

Le Dr Rizzuto avait l’attitude idéale pour me traiter. Sans montrer d’inquiétude, il a pris mon cas au sérieux. En m’auscultant et en me posant quelques questions, il a rapidement compris une grande partie de la situation et a demandé que je puisse passer un ECG à la clinique. Avec ces résultats et les autres données de mon dossier, il m’a offert deux options. Une était de traiter mon hypertension par l’alimentation. Perdre 10% de mon poids et de faire de l’exercice physique mais, surtout, éliminer tout sodium. L’autre option était de prendre un médicament, tout d’abord à très petite dose pour augmenter par la suite. Dans un cas comme dans l’autre, je pouvais maintenant être suivi. Les deux options étaient présentées sans jugement. Compte tenu de mes problèmes digestifs, la première me semblait particulièrement difficile, ce sur quoi le Dr Rizzuto a démontré la juste note d’empathie (contrairement à beaucoup de médecins et même un prof de psycho qui font de la perte de poids une question de «volonté»). Même si je suis pas friand des médicaments, j’ai opté pour la seconde option, tout en me disant que j’allais essayer la première. En deux-trois phrases, le Dr Rizzuto m’a donné plus d’encouragement que bien des gens.

J’ai pris mon premier comprimé de Ramipril en mangeant mon premier repas de la journée. Je réfléchissais à mon alimentation, à la possibilité d’éliminer le sodium et de réduire mon apport calorique, tout en faisant de l’exercice physique. Ayant essayé, à plusieurs reprises, de trouver une forme d’exercice qui me conviendrait et étant passé par des diètes très strictes, l’encouragement du Dr Rizzuto était indispensable.

Même si les gens confondent souvent les deux concepts, je considère l’encouragement comme étant bien plus important et bien plus efficace que la motivation. Faut dire que je suis de ceux qui sont mus par une très forte motivation intrinsèque. C’est d’ailleurs quelque-chose que je comprends de mieux en mieux, au fil des années. Malgré les apparences, je dispose d’une «volonté» (“willpower”) très forte. C’est un peu pour ça que je n’ai jamais été accro à quoi que ce soit (pas même le café) et c’est comme ça que j’arrive avec une certaine facilité à changer des choses, dans ma vie. Mais ma motivation nécessite quelque-chose d’autres. Du «répondant». De l’inspiration, dans des contextes de créativité. De l’encouragement, quand je suis désespéré.

Ma motivation intrinsèque d’atteindre un meilleur niveau de santé avait atteint son paroxysme des mois plus tôt et se maintient depuis tout ce temps. J’avais besoin de me sentir mieux. Même si je ne me souviens pas d’avoir manqué une seule journée de travail pendant ma vie adulte, mon niveau d’énergie avait considérablement baissé. Plus directement, les maux de tête que je subissais de plus en plus fréquemment me faisaient peur. J’ai dit, depuis, que c’est la peur de faire un AVC qui m’a poussé. C’est pas tout-à-fait exact. J’étais poussé par ma motivation intrinsèque, de toutes façons. L’éventualité de faire un AVC avait plutôt tendance à m’empêcher d’agir. Ce qui est vrai, c’est que c’est plus à l’AVC qu’à l’infarctus que je pensais, à cet époque. Certains peuvent trouver ça étrange, puisqu’un infarctus est probablement plus grave, surtout à mon âge. Mais la peur est pas nécessairement un phénomène rationnel et mes maux de tête me faisaient craindre un accident qui pourrait rendre ma vie misérable. D’où une «motivation» liée à l’AVC. J’ai pas vraiment l’habitude d’avoir peur. Mais cette éventualité me hantait bien plus que la notion d’avoir un autre trouble de santé, y compris le cancer. (Je connais plusieurs personnes qui ont eu le cancer et, même si certaines en sont décédées, je me sens mieux équipé pour affronter cette maladie que de survivre à un AVC.)

Donc, j’en suis là, mangeant un petit-déjeuner, dans un resto de mon quartier, réfléchissant à mes options. Et prenant la mesure des encouragements du Dr Rizzuto, pour utiliser l’approche diététique de l’hypertension (DASH). Il m’a pas dit que j’étais capable de le faire. Il m’a pas donné des trucs pour y arriver. Mais, surtout, il m’a pas jugé et il m’a pas balayé du revers de la main. En fait, il me prenait en main.

Sans devenir mon médecin de famille.

Ce n’est qu’en juin que, grâce au Dr Rizzuto, j’ai pu avoir un rendez-vous avec ma médecin de famille. Lors de ma première consultation avec le Dr Rizzuto, il me donné un petit signet sur lequel il y avait des informations au sujet du Guichet d’accès à un médecin de famille, dans mon quartier. J’ai appelé rapidement, mais le processus est long. D’ailleurs, le processus s’est étendu bien au-delà de ce qui était prévu, pour toutes sortes de raison. Même que la médecin de famille avec laquelle j’ai pu avoir un rendez-vous, la Dre Sophie Mourey, n’était pas la même personne qui m’était assignée. Reste que, sans l’approche encourageante du Dr Rizzuto, je n’aurais probablement pas de médecin de famille à l’heure qu’il est.

Et je n’aurais probablement pas accompli ce que j’ai pu accomplir dans l’année qui a suivi.

Qu’ai-je accompli? À la fois pas grand-chose et tout ce qui compte. J’ai fait plus de 2000km de marche à pieds et 1870 miles de vélo sur place (à une moyenne de 18miles/heure pendant environ trois heures par semaine, au cours des derniers mois). J’ai débuté une routine quotidienne de yoga (pour une moyenne de quatre heures par semaine, depuis l’été). J’ai baissé mon pouls au repos d’environ 90 battements par minute à moins de 60 battements par minute. J’ai évidemment baissé ma tension artérielle, d’abord aidé par le Ramipril (5mg), mais maintenant presque sous contrôle. Encore plus important pour moi, j’ai fini par trouver une façon de grandement diminuer certains de mes autres problèmes de santé, ce qui me donne l’espoir de pouvoir en enrayer certains au cours des prochains mois.

Donc, comme le disait la Dre Mourey, mon bilan de santé est bien encourageant.

Ah oui, incidemment… j’ai aussi perdu 15kg (33lbs.). Sans beaucoup d’effort et juste un petit peu de motivation.

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Open Letter: UnivCafé Testimonial

Here’s a slightly edited version of a message I sent about University of the Streets Café. I realize that my comments about it may sound strange for people who haven’t participated in one of their conversations. And there may be people who don’t like it as much as I do. But it’s remarkable how favourable people are to the program, once they participate in it.

Having taught at eight academic institutions in the United States and Canada, I have frequently gone on record to say that Concordia is my favourite context for teaching and learning. By a long stretch.

Concordia’s “University of the Streets Café” program is among the things I like the most about my favourite university.

Over the past few years, I have been a vocal participant at a rather large number of “UnivCafé” events and have been the guest at one of them. Each of these two-hour conversations has provided me with more stimulation than any seminar or class meeting in which I participated, as a teacher or as a student.

In fact, I have frequently discussed UnivCafé with diverse people (including several members of the Concordia community). As is clear to anyone who knows me, UnivCafé has had a strong impact on my life, both professionally and personally.

Given my experience elsewhere, I have a clear impression of what makes Concordia unique.

  • Emphasis on community development.
  • Strong social awareness.
  • Thoughtful approach to sustainability.
  • Seamless English/French bilingualism.
  • Inclusive attitude, embracing cultural and social diversity.
  • Ease of building organic social networks through informal events.

In a way, UnivCafé encapsulates Concordia’s uniqueness.

Yet it goes further than that. Though it may sound hyperbolic to outsiders, I would not hesitate to say that UnivCafé captures some of the Greek academia (Ἀκαδημία) while integrating dimensions of contemporary life. More pithily: ”UnivCafé is a social media version of Plato‘s Academy”.

It seems to me that academia is in a transition period. For instance, the tenure system could be rethought. With social and technological developments challenging many academic models, universities are often searching for new models. I sincerely hope that the UnivCafé model is a sign of things to come.

I have discussed this on several occasions with students and colleagues, and this notion is gaining ground.

There is something remarkable about how appropriate the UnivCafé model is, in the current context. To my mind, UnivCafé does all of the following:

  • Encourages critical thinking.
  • Gives voice to people who are rarely heard.
  • Exposes participants to a diversity of perspectives.
  • Brings together people who rarely get a chance to interact.
  • Integrates practical and theoretical concerns.
  • Allays fears of public speaking.
  • Builds valuable connections through the local community.
  • Brings academics outside the Ivory Tower.

As may be obvious, I could talk about UnivCafé for hours and would be happy to do so in any context.

In the meantime, may this testimonial serve as a token of appreciation for all the things I have gained from UnivCafé.

Éloge de la courtoisie en-ligne

Nous y voilà!

Après avoir terminé mon billet sur le contact social, j’ai reçu quelques commentaires et eu d’autres occasions de réfléchir à la question. Ce billet faisait suite à une interaction spécifique que j’ai vécue hier mais aussi à divers autres événements. En écrivant ce billet sur le contact social, j’ai eu l’idée (peut-être saugrenue) d’écrire une liste de «conseils d’ami» pour les gens qui désirent me contacter. Contrairement à mon attitude habituelle, j’ai rédigé cette liste dans un mode assez impératif et télégraphique. C’est peut-être contraire à mon habitude, mais c’est un exercice intéressant à faire, dans mon cas.

Bien qu’énoncés sur un ton quasi-sentencieux, ces conseils se veulent être des idées de base avec lesquelles je travaille quand on me sollicite (ce qui arrive plusieurs fois par jour). C’est un peu ma façon de dire: je suis très facile à contacter mais voici ce que je considère comme étant des bonnes et mauvaises idées dans une procédure de contact. Ça vaut pour mes lecteurs ici, pour mes étudiants (avant que je aie rencontrés), pour des contacts indirects, etc.

Pour ce qui est du «contact social», je parlais d’un contexte plus spécifique que ce que j’ai laissé entendre. Un des problèmes, c’est que même si j’ai de la facilité à décrire ce contexte, j’ai de la difficulté à le nommer d’une façon qui soit sans équivoque. C’est un des mondes auxquels je participe et il est lié à l’«écosystème geek». En parlant de «célébrité» dans le billet sur le contact social, je faisais référence à une situation assez précise qui est celle de la vie publique de certaines des personnes qui passent le plus clair de leur temps en-ligne. Les limites sont pas très claires mais c’est un groupe de quelques millions de personnes, dont plusieurs Anglophones des États-Unis, qui entrent dans une des logiques spécifiques de la socialisation en-ligne. Des gens qui vivent et qui oeuvrent dans le média social, le marketing social, le réseau social, la vie sociale médiée par les communications en-ligne, etc.

Des «socialiseurs alpha», si on veut.

C’est pas un groupe homogène, loi de là. Mais c’est un groupe qui a ses codes, comme tout groupe social. Certains individus enfreignent les règles et ils sont ostracisés, parfois sans le savoir.

Ce qui me permet de parler de courtoisie.

Un des trucs dont on parle beaucoup dans nos cours d’introduction, en anthropologie culturelle, c’est la diversité des normes de politesse à l’échelle humaine. Pas parce que c’est une partie essentielle de nos recherches, mais c’est souvent une façon assez efficace de faire comprendre des concepts de base à des gens qui n’ont pas (encore) de formation ethnographique ou de regard anthropologique. C’est encore plus efficace dans le cas d’étudiants qui ont déjà été formés dans une autre discipline et qui ont parfois tendance à ramener les concepts à leur expérience personnelle (ce qui, soit dit en passant, est souvent une bonne stratégie d’apprentissage quand elle est bien appliquée). L’idée de base, c’est qu’il n’y a pas d’«universal», de la politesse (malgré ce que disent Brown et Levinson). Il n’y a pas de règle universelle de politesse qui vaut pour l’ensemble de la population humaine, peu importe la distance temporelle ou culturelle. Chaque contexte culturel est bourré de règles de politesse, très souvent tacites, mais elles ne sont pas identiques d’un contexte à l’autre. Qui plus est, la même règle, énoncée de la même façon, a souvent des applications et des implications très différentes d’un contexte à l’autre. Donc, en contexte, il faut savoir se plier.

En classe, il y en a toujours pour essayer de trouver des exceptions à cette idée de base. Mais ça devient un petit jeu semi-compétitif plutôt qu’un réel processus de compréhension. D’après moi, ç’a un lien avec ce que les pédagogues anglophones appellent “Ways of Knowing”. Ce sont des gens qui croient encore qu’il n’existe qu’une vérité que le prof est en charge de dévoiler. Avec eux, il y a plusieurs étapes à franchir mais ils finissent parfois par passer à une compréhension plus souple de la réalité.

Donc, une fois qu’on peut travailler avec cette idée de base sur la non-universalité de règles de politesse spécifiques, on peut travailler avec des contextes dans lesquelles la politesse fonctionne. Et elle l’est fonctionnelle!

Mes «conseils d’ami» et mon «petit guide sur le contact social en-ligne» étaient à inscrire dans une telle optique. Mon erreur est de n’avoir pas assez décrit le contexte en question.

Si on pense à la notion de «blogosphère», on a déjà une idée du contexte. Pas des blogueurs isolés. Une sphère sociale qui est concentrée autour du blogue. Ces jours-ci, à part le blogue, il y a d’autres plates-formes à travers lesquelles les gens dont je parle entretiennent des rapports sociaux plus ou moins approfondis. Le micro-blogue comme Identi.ca et Twitter, par exemple. Mais aussi des réseaux sociaux comme Facebook ou même un service de signets sociaux comme Digg. C’est un «petit monde», mais c’est un groupe assez influent, puisqu’il lie entre eux beaucoup d’acteurs importants d’Internet. C’est un réseau tentaculaire, qui a sa présence dans divers milieux. C’est aussi, et c’est là que mes propos peuvent sembler particulièrement étranges, le «noyau d’Internet», en ce sens que ce sont des membres de ce groupe qui ont un certain contrôle sur plusieurs des choses qui se passent en-ligne. Pour utiliser une analogie qui date de l’ère nationale-industrielle (le siècle dernier), c’est un peu comme la «capitale» d’Internet. Ou, pour une analogie encore plus vieillotte, c’est la «Métropole» de l’Internet conçu comme Empire.

Donc, pour revenir à la courtoisie…

La spécificité culturelle du groupe dont je parle a créé des tas de trucs au cours des années, y compris ce qu’ils ont appelé la «Netiquette» (de «-net» pour «Internet» et «étiquette»). Ce qui peut contribuer à rendre mes propos difficiles à saisir pour ceux qui suivent une autre logique que la mienne, c’est que tout en citant (et apportant du support à) certaines composantes de cette étiquette, je la remets en contexte. Personnellement, je considère cette étiquette très valable dans le contexte qui nous préoccupe et j’affirme mon appartenance à un groupe socio-culturel précis qui fait partie de l’ensemble plus vaste auquel je fais référence. Mais je conserve mon approche ethnographique.

La Netiquette est si bien «internalisée» par certains qu’elles semblent provenir du sens commun (le «gros bon sens» dont je parlais hier). C’est d’ailleurs, d’après moi, ce qui explique certaines réactions très vives au bris d’étiquette: «comment peux-tu contrevenir à une règle aussi simple que celle de donner un titre clair à ton message?» (avec variantes plus insultantes). Comme j’ai tenté de l’expliquer en contexte semi-académique, une des bases du conflit en-ligne (la “flame war”), c’est la difficulté de se ressaisir après un bris de communication. Le bris de communication, on le tient pour acquis, il se produit de toutes façons. Mais c’est la façon de réétablir la communication qui change tout.

De la même façon, c’est pas tant le bris d’étiquette qui pose problème. Du moins, pas l’occasion spécifique de manquement à une règle précise. C’est la dynamique qui s’installe suite à de nombreux manquements aux «règles de base» de la vie sociale d’un groupe précis. L’effet immédiat, c’est le découpage du ‘Net en plus petites factions.

Et, personnellement, je trouve dommage ce fractionnement, cette balkanisation.

Qui plus est, c’est dans ce contexte que, malgré mon relativisme bien relatif, j’assigne le terme «éthique» à mon hédonisme. Pas une éthique absolue et rigide. Mais une orientation vers la bonne entente sociale.

Qu’on me comprenne bien (ça serait génial!), je me plains pas du comportement des gens, je ne jugent pas ceux qui se «comportent mal» ou qui enfreignent les règles de ce monde dans lequel je vis. Mais je trouve utile de parler de cette dynamique. Thérapeutique, même.

La raison spécifique qui m’a poussé à écrire ce billet, c’est que deux des commentaires que j’ai reçu suite à mes billets d’hier ont fait appel (probablement sans le vouloir) au «je fais comme ça me plaît et ça dérange personne». Là où je me sens presqu’obligé de dire quelque-chose, c’est que le «ça dérange personne» me semblerait plutôt myope dans un contexte où les gens ont divers liens entre eux. Désolé si ça choque, mais je me fais le devoir d’être honnête.

D’ailleurs, je crois que c’est la logique du «troll», ce personnage du ‘Net qui prend un «malin plaisir» à bousculer les gens sur les forums et les blogues. C’est aussi la logique du type macho qui se plaît à dire: «Je pince les fesses des filles. Dix-neuf fois sur 20, je reçois une baffe. Mais la vingtième, c’est la bonne». Personnellement, outre le fait que je sois féministe, j’ai pas tant de problèmes que ça avec cette idée quand il s’agit d’un contexte qui le permet (comme la France des années 1990, où j’ai souvent entendu ce genre de truc). Mais là où ça joue pas, d’après moi, c’est quand cette attitude est celle d’un individu qui se meut dans un contexte où ce genre de chose est très mal considéré (par exemple, le milieu cosmopolite contemporain en Amérique du Nord). Au niveau individuel, c’est peut-être pas si bête. Mais au niveau social, ça fait pas preuve d’un sens éthique très approfondi.

Pour revenir au «troll». Ce personnage quasi-mythique génère une ambiance très tendue, en-ligne. Individuellement, il peut facilement considérer qu’il est «dans son droit» et que ses actions n’ont que peu de conséquences négatives. Mais, ce qui se remarque facilement, c’est que ce même individu tolère mal le comportement des autres. Il se débat «comme un diable dans le bénitier», mais c’est souvent lui qui «sème le vent» et «récolte la tempête». Un forum sans «troll», c’est un milieu très agréable, “nurturing”. Mais il n’est besoin que d’un «troll» pour démolir l’atmosphère de bonne entente. Surtout si les autres membres du groupes réagissent trop fortement.

D’ailleurs, ça me fait penser à ceux qui envoient du pourriel et autres Plaies d’Internet. Ils ont exactement la logique du pinceur de femmes, mais menée à l’extrême. Si aussi peu que 0.01% des gens acceptent le message indésirable, ils pourront en tirer un certain profit à peu d’effort, peu importe ce qui affecte 99.99% des récipiendaires. Tant qu’il y aura des gens pour croire à leurs balivernes ou pour ouvrir des fichiers attachés provenant d’inconnus, ils auront peut-être raison à un niveau assez primaire («j’ai obtenu ce que je voulais sans me forcer»). Mais c’est la société au complet qui en souffre. Surtout quand on parle d’une société aussi diversifiée et complexe que celle qui vit en-ligne.

C’est intéressant de penser au fait que la culture en-ligne anglophone accorde une certaine place à la notion de «karma». Depuis une expression désignant une forme particulière de causalité à composante spirituelle, cette notion a pris, dans la culture geek, un acception spécifique liée au mérite relatif des propos tenus en-ligne, surtout sur le vénérable site Slashdot. Malgré le glissement de sens de causalité «mystique» à évaluation par les pairs, on peut lier les deux concepts dans une idée du comportement optimal pour la communication en-ligne: la courtoisie.

Les Anglophones ont tendance à se fier, sans les nommer ou même les connaître, aux maximes de Grice. J’ai beau percevoir qu’elles ne sont pas universelles, j’y vois un intérêt particulier dans le contexte autour duquel je tourne. L’idée de base, comme le diraient Wilson et Sperber, est que «tout acte de communication ostensive communique la présomption de sa propre pertinence optimale». Cette pertinence optimale est liée à un processus à la fois cognitif et communicatif qui fait appel à plusieurs des notions élaborées par Grice et par d’autres philosophes du langage. Dans le contexte qui m’intéresse, il y a une espèce de jeu entre deux orientations qui font appel à la même notion de pertinence: l’orientation individuelle («je m’exprime») souvent légaliste-réductive («j’ai bien le droit de m’exprimer») et l’orientation sociale («nous dialoguons») souvent éthique-idéaliste («le fait de dialoguer va sauver le monde»).

Aucun mystère sur mon orientation préférée…

Par contre, faut pas se leurrer: le fait d’être courtois, en-ligne, a aussi des effets positifs au niveau purement individuel. En étant courtois, on se permet très souvent d’obtenir de réels bénéfices, qui sont parfois financiers (c’est comme ça qu’on m’a payé un iPod touch). Je parle pas d’une causalité «cosmique» mais bien d’un processus précis par lequel la bonne entente génère directement une bonne ambiance.

Bon, évidemment, je semble postuler ma propre capacité à être courtois. Il m’arrive en fait très souvent de me faire désigner comme étant très (voire trop) courtois. C’est peut-être réaliste, comme description, même si certains ne sont peut-être pas d’accord.

À vous de décider.

Early October Quickies

Actually, they’re more like late September links, but still…

Is that Disparate enough for you? 😉