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Éloge du nombrilisme

Bon, «éloge» c’est un peu fort. Pas vraiment question ici de faire l’apologie de l’égocentrisme, de l’égoïsme ou de l’insensibilité. Mais plusieurs circonstances m’ont mené à penser aux avantages d’une certaine «charité bien ordonnée» qui accorde une certaine place à la compartimentalisation entre soi et l’Autre.

Trame sonore (écouter ici), Actualités chantées par Diane Dufresne.

On n’est pas v’nus au monde pour se r’garder l’nombril mais quand i’ tombe des bombes, faut ben s’mettre à l’abril.

Oui, je sais, la chanson est très ironique. Loin de moi l’idée de m’ensevelir la tête sous le sable. Mais l’idée de base n’est pas si absurde qu’elle n’y paraît, même pour ceux parmi nous dotés (ou victimes) d’une «conscience sociale» et d’une empathie très fortes.

Il est de bon ton, dans certains milieux, de se préoccuper du monde. De s’attrister du sort de son prochain. Surtout si ce prochain est bien loin de nous. Dans le milieu académique, et plus particulièrement en science sociale, cette attention portée aux problèmes vécus par les autres est parfois poussée à sa limite logique. Plusieurs d’entre nous en conçoivent une vision très négative de l’humanité. Pour un humaniste, ce négativisme ambiant peut sembler inadéquat. «C’est bien beau de porter le poids du monde mais toujours faudrait-il percevoir du monde sa beauté.» Sans oublier que ce n’est généralement pas en se morfondant sur les problèmes de la planète qu’on réussit à les résoudre.

Une partie de la question est liée à la communication et aux médias. De façon sans doute plus efficace qu’à aucun autre moment de l’histoire humaine, nous pouvons désormais recevoir les «mauvaises nouvelles» des quatre coins de la planète. Pas que les médias de masse soient la cause ultime de ce que j’ai tendance à percevoir comme un marasme. Mais un même phénomène social à large échelle englobe à la fois le négativisme primaire de certains milieux et cette tendance qu’ont les journalistes de diffuser l’information la plus déprimante qui soit (liée, selon certains, aux nécessités publicitaires). Sans parler d’un lien causal, on peut décrire une certaine cohérence logique: marasme et journalisme «vont très bien ensemble».

Sans vouloir être trop provocateur, peut-être est-ce ici que se situe la «banalité du mal» décrite par Arendt?

Selon moi, l’attitude positive d’Isabelle Bourgeois et de Planet Positive, tout comme l’orientation vers les solutions chez les Reporters d’espoir sont plus à même de canaliser les changements sociaux en fonction des valeurs et idéaux des gens impliqués que l’optique journalistico-misérabiliste qui veut que «tout va mal jusqu’à preuve du contraire».

Comme c’est souvent le cas, il y a à la fois une part sociale et une part individuelle à prendre en compte dans le rapport qu’on pourrait dire «morbide» entre certains bien-pensants et le «sort du monde». Du point de vue individuel, on se rapproche de la psychologie de la névrose, du moins dans son acception usuelle non-diagnostique. Du point de vue social, on pourrait penser à un certain paternalisme: parmi ceux qui s’inquiètent tant du sort du monde se trouvent sans doute plusieurs «donneurs de leçon» qui croient avoir mieux compris que tous les autres. C’est un point de vue critique que j’ai de la difficulté à ne pas entretenir. Mais il s’agit plus d’une réaction personnelle que d’une analyse solide.

Revenons à nos moutons. Et au nombril, centre d’un certain univers.

Le nombrilisme a-t-il une place? De par mon orientation altrocentrique, j’ai tendance à croire que non. Jusqu’à tout récemment, ma vision personnelle du monde n’accordait que peu de valeur à l’égocentrisme, au retour sur soi. Je tolérais l’égoïsme des autres mais j’étais si intransigeant envers mon propre comportement que je n’osais presque pas «penser à moi». Depuis quelques temps, suite à une démarche très personnelle, j’ai appris à être moins sévère à mon égard et à accepter l’indulgence centrée sur soi-même. Il y a un aspect thérapeutique au fait d’accepter de se faire du bien à soi-même.

Ayant déjà énoncé un thème lié à une chanson, voici quelques paroles d’une autre chanson, tirée d’une comédie musicale des années 1920 et interprétée par plusieurs musiciens de Jazz:

I want to be happy
But I won’t be happy
Till I make you happy too.

J’aime bien cette pièce, en tant que standard de Jazz. Mais en tant que perspective sur le bonheur, ces paroles semblent représenter une vision assez problématique: «je ne serai heureux que si je peux te rendre heureux(se)». Un bonheur aussi conditionnel peut-il mener à une réelle sérénité?

Bon, l’extrême inverse n’est probablement pas plus sensé. Une attitude sereine demande une certaine empathie, voire de la sympathie (du moins, pour ceux parmi nous qui ne sont pas ermites). Mais il doit bien y avoir un équilibre à trouver ou, tout simplement, une attitude qui tient compte tout à la fois du bonheur des autres et de son propre bonheur.

Beaucoup d’autres choses à dire sur le sujet. Entre autres, sur l’orientation-bonheur énoncée comme cure à la crise financière ou sur la compartimentalisation nombriliste dans certains contextes culturels (y compris au Québec). Ce sera pour plus tard. Mon propre petit moi individuel égoïste me fait signe.

😀

Confessions d'un papillon social

Tiens, tiens! C’est pas mal, ça… Ça fait plusieurs fois que j’utilise la formule «Confessions d’un {désignation personnelle}», par référence détournée à Rousseau. Amusant de voir que, cette fois-ci, le lien entre «promeneur solitaire» et «papillon social» est même orthographique… 😉

C’est aussi la première fois que je fais un billet aussi personnel. Quasi-introspectif. Et même pseudo-catholique.

Fiou!

Oui, je l’avoue, l’admet, le confesse et le proclame: j’aime les gens. Tout simplement. Tout court.

Pas «j’aime les gens qui me ressemblent». Pas «j’aime les gens de qualité». J’aime les gens. Tous. Les êtres humains. Les membres de mon espèce. Sans raison spécifique.

Ils font de tout, les gens, du plus vil au plus beau, du plus laid au plus louable. Mais ils sont surtout très intéressants, les gens.

Me sens «humaniste» dans un sens très précis: amoureux de la nature humaine. Me fait surtout traiter de «papillon social», y compris par mes proches. Quelqu’un qui passe d’une personne à l’autre comme un papillon qui butine de fleur en fleur. C’est surtout utilisé en anglais, mais des Francophones parlent aussi de papillonnage dans un sens assez proche.

C’est assez réaliste, comme désignation. J’eus toutefois tendance à prendre ça comme un reproche. Surtout quand certains observent ma tendance à passer d’une personne à l’autre lors de rencontres publiques. Ça rend “self-unconscious”. Après tout, il y a cette idée que le papillon social est un être fat, qu’il est motivé par un désir de gloire, qu’il n’est pas loyal… «Papillonnage» est même plus connoté et me ressemble moins puisqu’il touche à la promiscuité, qui n’a jamais été mon truc.

Donc, «papillon social», c’est pas une étiquette facile à porter. Mais désormais, je m’assume en tant que papillon social. Oui, j’en suis fier.

D’après moi, les papillons sociaux ont la possibilité d’avoir des effets intéressants, sur les gens et sur la société. Pas exactement un pouvoir d’influence. Mais plutôt le pouvoir d’un grain de sable dans l’engrenage. Les choses changent, les papillons sociaux participent au changement. Simplement en étant eux-mêmes. Les papillons sociaux ont aussi la possibilité d’unir les gens. Je me sens donc très confortable dans mon rôle de papillon social. Je ne suis pas sélectif dans mes amitiés mais j’accorde beaucoup d’importance à mes amis. Certains sont très proches de moi. D’autres sont plutôt des connaissances. Mais tous ont de l’importance pour moi.

Va pour le côté «social» de mon caractère social. Il y a une part plus intime.

M’allonge sur un divan modèle psychanalytique, tendance Freud et non Jung. Presque Woody Allen comme scène. Et les mots résonnent avec la force du lieu commun: «ça date de mon enfance».

Si si! De ma plus tendre enfance. Mes parents avaient de nombreux amis. Ma mère, surtout. Et ils m’ont emmené avec eux dans toutes sortes de soirées. Souvent, j’étais le seul enfant entouré de nombreux adultes. Parfois, j’étais le centre de l’attention. Toujours, j’avais du plaisir. Du moins, si mon souvenir est bon.

Faut comprendre la chose. Notre vie familiale a toujours été basée sur l’amitié. La maison de ma mère a souvent été le lieu de rencontres impromptues. Nous avions une terrasse sur laquelle nous passions de longues heures à bavarder, avec des amis. Parfois, nous chantions, nous accompagnant à la guitare. Souvent, nous réinventions le monde. Nos références étaient souvent européennes et francophones, étant donné notre lien avec la Suisse Romande et avec la France. Nous mangions, buvions, savourions la vie.

Il y avait un côté européen à la chose. Et mondain. Et intello. Par contre, rien de très bourgeois. Pas de notion d’exclusion. Beaucoup de franchise. Bref, comme une version post-hippie des salons proustiens.

J’avais six ans quand mes parents se sont séparés. C’était donc avec un seul parent à la fois que je découvrais les délices sociales de la «soirée entre amis».

Mais ma famille a toujours été unie. Surtout l’unité familiale formée par ma mère et ses trois fils. Puisque je suis l’enfant unique du deuxième mariage de ma mère, il y a de grandes différences «objectives» entre mes frères et moi. De plus, par diverses circonstances, nous avons souvent été géographiquement distants, les uns des autres. Mais nous avons toujours été unis par des liens filiaux très forts. D’une certaine façon, mes «demi-frères» sont encore plus réellement mes vrais frères que si j’avais été né du même père qu’eux. Leurs amis sont parfois devenus mes amis. Tout ça grâce à ma mère, dont je parle peu parce qu’elle est quasi-sacrée, pour moi. C’est elle qui a soutenu cette cellule familiale. Quiconque parle de familles mono-parentales de façon condescendante n’a pas vécu ce que nous avons vécu.

D’ailleurs, nous avons créé pour nous-mêmes une identité propre. Nous sommes les Enforaks. «En-» pour «Enkerli», le nom de mon père et mon propre nom de famille. Et «-fo-» pour «Thiffault», le nom du premier mari de ma mère et le nom de famille de mes frères. Étant, à l’époque, fan du dessin animé Goldorak, j’ai ajouté le pseudo-suffixe «-rak» au nom d’un robot en blocs Lego que j’avais construit. Pour moi, rien de comparable au noyau familial formé par Marielle Gagnon et ses fils: Christian Thiffault, Pierre Thiffault et Alexandre Enkerli. Les Enforaks, ce fut aussi plusieurs personnes qui ont gravité autour de nous. Si je me rappelle bien, c’est même pour manifester l’acceptation de Catherine Lapierre, celle qui allait devenir ma première belle-sœur, que j’ai bâti et nommé ma construction Lego. Il y eu plusieurs autres Enforaks, y compris une autre Catherine: ma tendre épouse, Catherine Léger.

Oui, je suis nostalgique.

Quoique…

J’ai autant de plaisir maintenant qu’à l’époque, à rencontrer des gens. Et je suis très content d’avoir la chance de converser avec des gens de divers horizons sociaux, culturels, géographiques, idéologiques et professionnels. C’est d’ailleurs plus facile pour moi d’être un papillon social dans l’ère digitale que ça ne l’a jamais été dans mon enfance.

Ma vie familiale et sociale à travers ma famille était surtout heureuse par opposition à ma vie scolaire. J’avais de bonnes notes, les profs m’appréciaient, j’avais l’occasion de développer diverses aptitudes. Mais j’avais énormément de difficulté à me faire des amis. Retour sur le fauteuil: je me suis toujours senti rejeté par mes contemporains. Traité de «maudit Français» à cause de mon accent semi-européen. Mis à l’écart dans le contexte des «sacrements» religieux, puisque contrairement à la quasi-totalité des élèves de mon école primaire, je n’avais jamais été baptisé. Seul «enfant du divorce» à mon école, j’étais une curiosité pour plusieurs, y compris certains membres du personnel. Pacifiste au milieu de bagarreurs, j’avais de la difficulté à me faire respecter. Écrivant «aussi mal qu’un médecin», j’étais la cible d’une attention très particulière. Peu séduisant, je n’avais aucun succès auprès des filles. Bavard, je fatiguais mes congénères. Mes aptitudes scolaires étant bien plus grandes que mes aptitudes sportives, j’avais tout pour me faire détester.

Bref, j’étais seul avec mon moi-même à moi tout seul. Ça te me forme un gars, ça, madame!

Faut dire que, même à la maison, j’étais souvent seul. Entre autres parce que ma mère travaillait à temps plein. Dès l’âge de 9 ans, j’ai commencé à cuisiner et à manger seul, tous les midis de semaine. Puis la maison était vide quand j’y retournais après une journée d’école. Mon frère Christian (qui avait dix-huit ans lors de mon entrée à l’école) ayant quitté la maison familiale assez tôt et mon frère Pierre étant mon ainé de huit ans, je n’avais pas de compagnon de jeu à portée de main. Je passais donc de longues heures seul, dans une immense chambre à coucher, à jouer ou à lire tout en réfléchissant.

Oh, j’ai bien eu des amis. Y compris Frédéric Fortin, avec qui je maintiens de très forts liens d’amitié. Mais j’étais, malgré tout, seul.

«J’écris pas pour me plaindre, j’avais juste le goût de parler

D’ailleurs, ce dont je me rends le plus compte, c’est que j’ai pu bénéficier de tout ça. Non seulement ma solitude m’a «fait les pieds» et je suis désormais heureux d’être seul, mais ça a contribué à me faire vivre des moments fort agréables qui se répètent souvent.

Ce qui a probablement changé le plus, depuis mon enfance, c’est que je n’ai plus le désir d’être populaire. Je veux voir les gens, discuter avec eux. Mais je ne tiens pas à ce qu’ils soient admiratifs à mon égard. Oh, bien évidemment, je veux être apprécié, comme tout le monde. Mais j’aime tout le monde et j’aime simplement rendre le monde heureux.

Le plus mieux de l’affaire, c’est que ça marche assez souvent. Quand on est heureux soi-même, c’est facile de rendre les autres heureux. Et quand on se sent bien dans sa peau, c’est facile d’être heureux soi-même. Et quand on aime les gens, c’est facile de se sentir bien dans sa peau. Et quand on apprend à connaître les gens, c’est facile de les aimer.