Montréal est en passe de (re)devenir une destination pour le café. Mieux encore, la «Renaissance du café à Montréal» risque d’avoir des conséquences bénéfiques pour l’ensemble du milieu culinaire de la métropole québécoise.
Cette thèse peut sembler personnelle et je n’entends pas la proposer de façon dogmatique. Mais en me mêlant au milieu du café à Montréal, j’ai accumulé un certain nombre d’impressions qu’il me ferait plaisir de partager. Il y a même de la «pensée magique» dans tout ça en ce sens qu’il me semble plus facile de rebâtir la scène montréalaise du café si nous avons une idée assez juste de ce qui constitue la spécificité montréalaise.
Je ne tente pas de dire que Montréal devrait être la «capitale du café» ou que Montréal a de l’importance dans le domaine du café. Mais ma ville natale me sert de cas de figure dans l’observation d’une scène culinaire.
Qui suis-je?
D’ailleurs, qui suis-je pour parler ainsi? Essentiellement, un ethnographe montréalais et un avide amateur de café, un «geek de café».
Pour être clair: mon intérêt pour le café est très personnel mais il est fondamental dans ma vie. «Je vis le café». Par contre, je ne suis pas un professionnel du café en ce sens que je n’ai jamais été payé pour quelque activité que ce soit ayant trait au café. J’ai aujourd’hui 36 ans et je bois régulièrement du café depuis l’âge de quinze ans (donc, depuis 1987). Ce qui peut expliquer quelques références nostalgiques à mon adolescence… 😉
Ce qui est amusant, c’est que depuis quelques années j’ai acquis une certaine notoriété dans le milieu du café. Oh, c’est pas grand-chose! Les professionnels du café ne parlent pas de moi entre eux et je n’apparais pas dans des revues spécialisées. Mais mon expertise personnelle sur le café a été reconnue à certaines occasions. J’en tirerais une certaine fierté si ce n’était du fait que tout ce que j’ai fait dans le milieu du café était «tout naturel» pour moi.
Si j’explique tout ça, c’est pas du tout pour me mettre en valeur mais pour donner un certain contexte. Une espèce d’«avertissement» (au sens de “disclaimer“).
Ma formation en ethnographie provient de disciplines académiques (surtout l’anthropologie et la folkloristique) mais j’adopte ici un rôle d’«ethnographe public». Donc, si mes observations sont basées sur une formation académique, elles sont ici effectuées dans un contexte informel, exploratoire. Et c’est quoi, l’ethnographie? Le terme réfère à plusieurs choses mais, essentiellement, c’est un travail de description culturelle. Notre approche de base est l’«observation participante» et je peux dire que j’ai à la fois observé et participé à diverses activités de scènes du café.
Parlant de «scènes de café»… J’aime bien le concept, parce qu’il sous-entend une certaine cohérence sociale (un groupe de gens avec des intérêts communs, dans ce cas-ci) sans évoquer l’homogénéité. La scène montréalaise du café est d’ailleurs assez diversifiée.
Et c’est la base de ce que j’essaie de décrire: la spécificité montréalaise en matière de café passe beaucoup par la diversité.
L’héritage italien
Comme beaucoup de grandes villes nord-américaines, Montréal a longtemps bénéficié de la présence d’une importante communauté italienne. Les quartiers italiens de Montréal et de ses environs sont d’une vitalité qui fait plaisir à voir, pour quiconque s’intéresse à la vie communautaire. J’ai d’ailleurs lu plusieurs travaux d’étudiants basés sur des Italiens de Montréal et un sens de vie commune était une constante dans tous ces travaux. Pour être franc, j’ai une bouffée de sympathie simplement à penser à tout ça. Peut-être parce que mon arrière-grand-père biologique était un Cerruti? 😉
Donc, il y a un peu d’Italie à Montréal et les Italiens ont su bâtir des communautés serrées. La présence de cafés italiens aux quatre coins de la ville n’a donc rien de surprenant. Mais les implications de cette présence mérite discussion, en ce qui a trait au café.
Faut dire que je suis un peu biaisé. J’ai vraiment découvert le café lors d’un séjour en Suisse, mais c’est en partie grâce à des Italiens que j’avais été initié. Un doux souvenir d’enfance, c’est de me faire servir un pseudo-cappuccino (avec très peu de café) par le cafetier du supermarché Latina, à Cartierville. J’avais aussi le plaisir d’aller manger de la granita maison dans certains cafés italiens disperés à travers la ville. Donc, le simple fait de parler de cafés italiens me rend nostalgique.
Parlant de nostalgie, une institution montréalaise est le Caffè Italia (6840 Saint-Laurent, au cœur de la Petite-Italie). Et c’est un café assez typique de la dimension italienne de la scène montréalaise du café. C’est aussi un des cafés montréalais les plus typiques: non seulement a-t-il été utilisé comme décor pour plusieurs séries télévisées mais son nom a donné son titre à un fascinant documentaire sur les Italiens de Montréal. Le thème musical de ce film, une jolie pièce d’accordéon, a souvent été diffusée sur les ondes de Radio-Canada et a probablement contribué à ma nostalgie.
Mais je pense aussi au Caffè Italia pour son café. Mon père m’y amenait parfois, quand j’étais adolescent, et les cafés au lait que j’y ai bus ont été une base importante de mon appréciation du café.
Au cours des dernières années, près de vingt ans après l’avoir «découvert», je suis retourné au Caffè Italia à quelques reprises. Le café a pratiquement le même goût que dans mes souvenirs et l’ambiance est tout aussi typique. Ce n’est que l’année dernière, plus de dix ans après avoir passé quelques jours à Sienne, que j’ai pu remarquer qu’il y avait du panforte au Caffè Italia.
Le café du Caffè Italia est assez typique de l’espresso à l’italienne. «Mais c’est italien, l’espresso!» Oui, à l’origine. Comme certaines formes de pâtes alimentaires (qui proviennent originellement d’Asie). Mais si l’espresso est toujours associé à l’Italie dans l’esprit de plusieurs, il y a aujourd’hui d’autres conceptions de ce que peut être un espresso. C’est d’ailleurs une des bases de ce que j’essaie de décrire en ce qui concerne la scène du café à Montréal: il nous est désormais possible de déguster tant de l’espresso à l’italienne que d’autres cafés, y compris certains qui méritent pleinement l’appellation «espresso».
Donc, l’espresso à l’italienne, c’est quoi? Sans trop entrer dans le détail technique pour l’instant, c’est généralement un breuvage d’environ une once liquide préparé avec 7 g d’un mélange de cafés arabica et robusta sur une machine à espresso. Généralement, l’espresso à l’italienne peut avoir une amertume assez prononcée. Il est courant de mettre une petite quantité de sucre dans un espresso à l’italienne. Ce même espresso est la base du cappuccino et du «café au lait à l’italienne» (“caffè latte” en italien et en anglais; “café au lait” désigne autre chose en anglais). Ce «café au lait» consiste en un mélange homogène de lait chaud et d’espresso avec, contrairement à l’espresso, peu ou pas de lait moussé.
Enfin, trêve de digressions… 😉
En plus du Caffè Italia, plusieurs cafés de Montréal font l’espresso à l’italienne. Chez les amateurs anglophones de café, deux institutions situées au cœur du Mile-End sont probablement les plus connues: Café Olimpico (aussi appelé “Open Da Night” et “Olympico“) et Club Social. De mon point de vue, les cafés du Caffè Italia, du Club Social et du Café Olimpico sont assez semblables. J’ai l’impression que la qualité était un peu plus constante chez Olimpico qu’aux deux autres, mais c’est peut-être un hasard.
Mais il y a un grand nombre d’autres cafés italiens à Montréal. Près d’où j’habitais, dans La Petite-Patrie, il y a le Café Genova qui est un digne représentant du «petit café de quartier». À mon avis, le Café Genova est même plus typique que les institutions susmentionnées.
Je pense aussi à plusieurs autres cafés dans différents coins de la ville, de Cartierville à Saint-Léonard, d’Ahuntsic à Outremont. Mais l’idée, ici, c’est pas de faire une liste des cafés de Montréal mais bien de décrire une dimension de la scène montréalaise du café.
Certains de ces cafés attirent une clientèle très locale. Au point qu’il est parfois étrange d’entrer dans un de ces cafés si on n’y connaît personne. C’est d’ailleurs une expérience ethnographique que j’aime bien, qui me fait sentir le sens de communauté. On se fait examiner des pieds à la tête et on nous adresse la parole de façon assez distante. Mais derrière une certaine froideur apparente, on devine un sentiment d’appartenance.
Un aspect intéressant à considérer, c’est que les Italiens de Montréal proviennent surtout du Sud de l’Italie. Puisque la division Nord-Sud de l’Italie est fortement marquée (y compris du point de vue linguistique), l’origine de l’immigration italienne peut être assez pertinente dans toute discussion de cette communauté. Pour le café, d’aucuns disent que les cafés du Sud de l’Italie sont de moins haute qualité que ceux du Nord. N’ayant visité que quelques endroits du Nord de l’Italie (et aucun au Sud), je ne saurais me prononcer. Mais «la rumeur veut que» le café italien montréalais soit moins impressionnant que d’autres cafés italiens à cause de la majorité «sudiste». Ça pourrait expliquer certaines différences que j’ai pu remarqué entre des cafés dégustés en Italie et ce qu’on peut boire dans les cafés italiens de Montréal, mais ça demanderait une analyse plus approfondie.
(Étrangement, j’ai l’impression que tout commentaire laissé sur ce billet va se concentrer sur ce petit détail. Ça serait un peu dommage mais je vais laisser le paragraphe en place, au risque d’avoir des commentaires moins stimulants que ce que j’aimerais avoir…)
«À la québécoise»
La scène du café à Montréal comporte plusieurs autres institutions qui ne correspondent pas vraiment à l’image du café italien. Certains de ces endroits peuvent même servir de base à la «Renaissance du café à Montréal».
Dans l’ensemble, je dirais que ces cafés sont typiquement québécois. Pas que ces cafés soient vraiment exclusifs au Québec mais il y a quelque-chose de reconnaissable dans ces cafés qui me fait penser au goût québécois pour le café.
Comme les intellos de Montréal ont longtemps eu tendance à s’identifier à la France, certains de ces cafés ont une tendance française, voire parisienne. Pas qu’on y sert des larges bols de “café au lait” (à base de café filtre) accompagnés de pain sec. Mais le breuvage de base ressemble plus au café français qu’au café italien.
D’après moi, la référence à la France a eu beaucoup d’influence sur la perception des cafés montréalais par des gens de l’extérieur. Pour une large part, cette référence était plutôt une question d’ambiance qu’une question de caractéristiques gustatives et olfactives précises. Dans un café montréalais, des Nord-Américains ayant passé du temps en France pouvaient se «rappeler l’Europe». La Rive-Gauche à l’Ouest de l’Atlantique.
Pour revenir au mode «mémoires», je pense tout d’abord à la Brûlerie Saint-Denis comme institution montréalaise de ce type. Vers la fin de mon adolescence, c’est par l’entremise de la compagne de mon frère (qui y travaillait) que j’ai connu la Brûlerie. À l’époque, il s’agissait d’un café isolé (au cœur du Plateau, qui n’était pas encore si «chromé») et non d’une chaîne avec des succursales dispersées. Ce dont je me rappelle est assez représentatif d’une certaine spécificité québécoise: un «allongé» de qualité.
L’allongé (ou «espresso allongé») n’est pas exclusif au Québec mais c’est peut-être le breuvage le plus représentatif d’un goût québécois pour le café.
En Amérique du Nord, hors du Québec, l’allongé a généralement mauvaise réputation. Selon plusieurs, il s’agit d’une surextraction de l’espresso. Avec la même quantité de café moulu que pour un espresso à l’italienne d’une once, on produit un café de deux onces ou plus en laissant l’eau passer dans le café. «Toute chose étant égale par ailleurs», une telle surextraction amène dans la tasse des goûts considérés peu agréables, comme une trop grande amertume, voire de l’astringence. En même temps, la quantité de liquide dans la tasse implique une dillution extrême et on s’attend à un café «aqueux», peu goûteux.
Pourtant, je me rappelle de multiples allongés, presque tous dégustés au Québec, qui étaient savoureux sans être astringents. Selon toute logique, ce doit être parce que la mouture du café et le mélange de grains de café ont été adaptés à la réalisation d’un allongé de qualité. Ce qui implique certaines choses pour l’«espresso serré» (ou «espresso court», donc non-allongé) s’il est réalisé avec la même mouture et le même mélange. Même à Montréal, il est rare d’avoir dans le même café un excellent espresso court et un excellent allongé.
Mais parmi les Montréalais amateurs de café, l’allongé «a la cote» et les cafés montréalais typiques font généralement un bon allongé.
Selon mon souvenir, l’allongé de la Brûlerie Saint-Denis était de qualité. J’ai eu de moins bonnes expériences à la Brûlerie depuis que l’entreprise a ouvert d’autres succursales, mais c’est peut-être un hasard.
Une autre institution de la scène montréalaise du café, situé sur le Plateau comme la Brûlerie Saint-Denis à l’origine, c’est le café Aux Deux Marie. Le Deux Marie aujourd’hui ressemble beaucoup à mon souvenir de la Brûlerie Saint-Denis. Comme à la Brûlerie, j’y ai bu des allongés de qualité. C’est au Deux Marie que j’ai découvert certains «breuvages de spécialité» (“specialty drinks”, comme les appelle le World Barista Championship). Ces breuvages, à base d’espresso, contiennent des fruits, des épices, du chocolat et d’autres ingrédients. Si je me rappelle bien, la Brûlerie fait le même genre de breuvage mais je ne me rappelle pas en avoir remarqué, il y a une vingtaine d’années.
Il y a plusieurs autres «cafés à la québécoise». Dans les institutions connues, il y a La Petite Ardoise (tout près d’Outremont, sur Laurier). C’est d’ailleurs mon premier lieu de travail puisque j’y ai été plongeur, à la fin du secondaire (1988-9). C’est un «café bistro terrasse» assez typique de la scène culinaire montréalaise. Le cappuccino et l’allongé étaient très populaires (si je me rappelle bien, on les appelait «capp» et «all», respectivement). Et je me rappelle distinctement d’une cliente d’un autre café s’enquérir de la présence du «mélange de la Petite Ardoise». Honnêtement, je n’ai aucune idée sur ce que ce mélange comprenait ni sur la maison de torréfaction qui le produisait. Ma mémoire olfactive conserve la trace du «café de la Petite», surtout que le café était la seule chose que je pouvais consommer gratuitement quand j’y travaillais. La dernière fois que j’ai bu un café à La Petite Ardoise, il a titillé ma mémoire gustative mais je crois quand même qu’il a beaucoup changé, au cours des vingt dernières années.
Une autre institution typique, le Santropol (qui est aussi connu pour ses sandwiches et tisanes). Il y a quelques années, le Santropol a commencé à torréfier du café à large échelle et leurs cafés sont désormais disponibles dans les épiceries. Mon souvenir du café au Santropol se mêle à l’image du restaurant lui-même mais je crois me rappeler qu’il était assez représentatif du café à la québécoise.
Il y a plusieurs autres endroit que j’aurais tendance à mettre dans la catégorie «café à la québécoise», depuis La Petite Patrie jusqu’à Westmount, en passant par Villeray et Saint-Henri. Mais l’idée de base est surtout de décrire un type d’endroit. Il y a une question d’ambiance qui entre en ligne de compte mais, du côté du goût du café, la qualité de l’allongé est probablement le facteur le plus déterminant.
Ce qui surprend les plus les amateurs de café (surtout ceux qui ne sont pas nés à Montréal), c’est de savoir que j’ai dégusté des allongés de qualité dans un café de la chaîne Café Dépôt. Pour être honnête, j’étais moi-même surpris, la première fois. En général, les chaînes ont énormément de difficulté à faire du café de très haute qualité, surtout si on considère la nécessité de fournir toutes les succursales avec le même café. Mais je suis retourné à la même succursale de Café Dépôt et, à plusieurs reprises, j’ai pu boire un allongé qui correspond à mes goûts. D’ailleurs, j’aurais dit la même chose de certains cafés dégustés à une succursale de la chaîne Van Houtte. Mais c’était il y a plus de dix ans et Van Houtte semble avoir beaucoup changé depuis.
«La Troisième vague»
Parlant de changement…
C’est ici que vient le point central de ce que j’essaie de décrire comme un changement assez radical: la présence de cafés produisant du café «troisième vague» (“Third Wave”).
Depuis près de trois ans, Montréal dispose de cafés qui font un café d’un type très différent de l’espresso à l’italienne ou de l’allongé à la québécoise. Ce style de café, originaire de la Côte Ouest, est lié à ce qui a été désigné comme une «troisième vague» dans l’histoire du café en Amérique du Nord. Un peu comme la notion de «Tiers-Monde», le terme “Third Wave” est utilisé sans référence très directe aux deux autres termes qu’il sous-entend. Et, comme dans tout mouvement contemporain, il y a une certaine fluidité sémantique, un certain «flou artistique» face au sens et à la référence de ce terme.
Dans les milieux liés au café, le terme me semble surtout être utilisé pour désigner un établissement dont les membres suivent la «philosophie de la troisième vague» ou pour qualifier a posteriori un espresso qui correspond à une certaine norme de qualité. Cette norme n’est pas absolue. Elle correspond en fait à une «esthétique» particulière du café. Mais elle est fort intéressante.
Pour revenir au mode «avertissement»… Mon entraînement gustatif au café précède la troisième vague. Et si j’apprécie le café de type “Third Wave”, je crois avoir établi que j’aime aussi d’autres styles de café. Amateur de diversité, je me réjouis du fait qu’il m’est maintenant possible de boire du «café à l’italienne», du «café à la québécoise» et du «café troisième vague».
Avant d’entrer le détail de ce qui distingue le café «troisième vague» d’un point de vue sensoriel et technique, une petite historique de l’arrivée de ce type de café à Montréal.
À l’automne 2005 est ouvert sur le Plateau le premier Caffè ArtJava, œuvre de Spiro Karagianopoulos et de Mauro Maltoni. Ayant vécu à Vancouver, Spiro avait décidé d’«importer» le style de café West Coast assez représentatif de la troisième vague. ArtJava a par la suite ouvert une deuxième succursale, au centre-ville (Président-Kennedy et Université). Anthony Benda, originaire de Vancouver et formé au Caffè Artigiano, était chez ArtJava pendant quelques temps, tout d’abord travaillé sur le Plateau puis au centre-ville. Il y a environ un an et demi, Anthony a participé à l’ouverture du Café Santé Veritas, étendant ainsi la dimension «troisième vague» de la scène montréalaise du café à une seconde institution. Il y a quelques semaines, Anthony a ouvert le Café Myriade avec Scott Rao et c’est selon moins un événement déclencheur dans ce que je pressens être la Renaissance du café à Montréal (si si! j’insiste).
Une grande particularité de Myriade est d’offrir une variété de cafés (mélanges ou d’«origine unique») qui sont préparés selon diverses méthodes: espresso, siphon, cafetière à piston (à la Bodum), filtre conique individuel et Café Solo.
J’ai déjà blogué, en anglais, au sujet de Myriade, lors de son ouverture le 27 octobre. Mes premières et secondes impressions étaient très positives. J’avais de grandes attentes face à un café ouvert par Anthony Benda. Myriade répond à ces attentes. Outre la qualité du café servi par Anthony et ses associés, je perçois chez Myriade une sorte d’effervescence dans la communauté montréalaise d’amateurs de café.
Anthony Benda a donc travaillé aux trois principaux cafés que j’appellerais “Third Wave” à Montréal. Il est donc une figure marquante et je suis fier de le compter parmi mes amis. Mais il ne faut pas oublier Spiro Karagianopoulos, qui semble rester dans l’ombre, mais qui fait un travail acharné pour donner à Montréal cette impulsion qui, selon moi, peut permettre à Montréal de redevenir une destination pour le café.
Spiro est aujourd’hui lié à la maison de torréfaction 49th Parallel de Vince Piccolo, à Vancouver. Vince Piccolo a ouvert le Caffè Artigiano avec ses frères Mike et Sammy. Ce dernier est un champion canadien de concours de baristas, ayant remporté à plusieurs reprises le Canadian National Barista Championship.
(Pour la petite histoire… En tant que juge lors de la première journée de cette compétition, le mois dernier, j’ai eu l’occasion de déguster et d’évaluer l’espresso de Sammy Piccolo. À l’occasion, j’aime bien parler de mon statut de «juge de baristas» parce que ça m’amuse. Ce qui n’implique pas grand-chose.)
Puisque plusieurs cafés montréalais à tendance «troisième vague» utilisent le café de Vince Piccolo, les liens entre Vancouver et la scène montréalaise du café sont assez particuliers. D’aucuns croient même que la scène du café à Montréal ne serait rien si ce n’était de ces liens avec la Côte Ouest. J’espère avoir donné un autre son de cloche.
Outre Anthony et Spiro, il y a plusieurs autres acteurs dans la scène montréalaise du café qui réponde favorable à la notion de troisième vague. Un d’entre eux, Jean-François Leduc, a ouvert le Caffè in Gamba à l’été 2007 (peu après l’ouverture de Veritas). Si je n’ai pas inclus Gamba dans mon petit historique de la troisième vague à Montréal, c’est que Jean-François est, selon moi, parmi les rares «agnostiques» par rapport à cette distinction entre la troisième vague et le reste du monde du café. D’ailleurs, Jean-François importe des mélanges à espresso directement d’Italie. Avocat de formation, il s’est lancé dans le milieu du café suite à un séjour prolongé à Rome. Il a d’ailleurs des liens familiaux avec des italiens et a bénéficié assez tôt de ce «sens italien de la communauté» que j’ai mentionné plus haut.
Gamba est un endroit unique. Pas seulement pour Montréal. En grand passionné du café, Jean-François réussi à apporter à Montréal de nombreux mélanges à espresso qui n’étaient disponibles que par correspondance. Parmi ces mélanges, certains sont assez notoires, dans le milieu Third Wave: Intelligentsia (Chicago), Vivace (Seattle), PT’s (Topeka), de Zoka (Seattle). Jean-François réussit régulièrement à obtenir d’autres mélanges, faisant profiter la scène montréalaise du café dans son ensemble d’une grande diversité.
C’est à l’ouverture de Gamba que j’ai commencé à parlé de «Renaissance montréalaise du café». L’ouverture de Myriade est donc la «deuxième lance», comme diraient les Azandé selon Evans-Pritchard. La mise en scène est désormais complète pour la nouvelle phase dans l’histoire du café à Montréal.
Jean-François Leduc est donc à la jonction entre le café à l’italienne et le «café troisième vague». C’est d’ailleurs en discutant avec Jean-François que j’ai réussi à préciser, dans ma tête, certains détails me permettant de différencier le café Third Wave d’autres cafés.
Alors, allons-y…
Café «troisième vague» et café «à l’italienne»
En tant que phase dans l’histoire du café, la Troisième vague est basée sur une philosophie du respect, une forme d’humanisme. Sans être nécessairement alter-mondialistes, les partisans du Third Wave ont à cœur le sort de tous ceux qui œuvrent dans le domaine du café, quel que soit leur statut. Étant données les grandes inégalités entre producteurs et consommateurs de café, le sens de justice des “third wavers” est surtout tourné vers l’amélioration des conditions de travail liées à la production du café dans des régions défavorisées du Globe (la «Périphérie» de Wallerstein). C’est un peu les mêmes «bonnes intentions» qui ont permis aux «cafés équitables» de capturer l’imagination de plusieurs Européens et Nord-Américains. Mais la Troisième vague va beaucoup plus loin dans la direction du respect humain. Il ne s’agit désormais plus de fixer un prix plancher et quelques normes de travail, au sein de comités formés pour la plus grande part d’étrangers à la production du café. Il s’agit, en fait, de transformer le café en un produit culinaire sophistiqué «au même titre que le vin».
L’imaginaire du vin revient souvent dans ce contexte. On parle par exemple de «domaine» (“estate”) au même sens que pour le vin. La notion d’«origine» (par exemple dans “single origin”) correspond plus ou moins à celle de «terroir» (mais avec certaines résonances au niveau du «cépage»). Les mélanges de café, généralement conçus par les torréfacteurs, ressemblent un peu aux «assemblages» en contexte œnologique. La dégustation du café s’inspire parfois de celle du vin et le rôle du barista ressemble parfois à celui du sommelier.
Comme pour le vin, l’idée de base est de mettre en valeur les qualités intrinsèques du produit de base (le raisin ou le grain de café). Dans plusieurs cas, le café provenant d’un lot spécifique d’un domaine particulier est utilisé seul, même en espresso.
De prestigieuses ventes aux enchères (Cup of Excellence) sont organisées à chaque année pour des lots de café sélectionnés lors de compétitions nationales et certains de ces cafés obtiennent des montants extraordinaires. Ces montants étant directement versés aux propriétaires du domaine ayant cultivé ces cafés, certaines plantations de café dont certains produits ont su répondre aux exigences d’acheteurs de café obtiennent des montants élevés pour une part de leur production et leurs statuts ressemblent de plus en plus à celui de grands vignobles.
Au-delà de ces enchères annuelles, les partisans de la troisième vague tiennent à raccourcir la chaîne qui va de la production des grains de café à la dégustation du café. Ainsi, plusieurs torréfacteurs (y compris certains dont le café n’est pas distribué à large échelle) entretiennent des rapports directs avec les producteurs de café. Le voyage vers une région où le café est cultivé (“trip to origin”) est presque considéré comme un rite de passage, par les Third Wavers. Un peu comme dans les produits maraîchers et de boucherie, la ferme à l’origine de chaque produit d’alimentation peut être retracée avec précision. L’idée du rapport humain est donc mise de l’avant.
Chaque café de la troisième vague est donc tourné vers la compréhension du café. Même dans des chaînes de cafés assez étendues, cette notion de comprendre le café dans son moindre détail est transmis à chaque employé. Puisque plusieurs employés de cafés sont de jeunes étudiants et qu’il y a beaucoup de roulement dans ce milieu, le «message» est transmis à de nombreuses personnes et la troisième vague déferle dans diverses villes.
Dans une certaine mesure, il y a une «façon troisième vague» de faire le café. Pas qu’il s’agisse d’une méthode vraiment standardisée, mais il y a divers facteurs dans l’art du café qui sont influencés par la Troisième vague, surtout dans le cas de l’espresso.
Le facteur le plus évident: la fraîcheur. Si la fraîcheur a une grande valeur pour presque tout style de café, elle est devenue une véritable obsession au sein de la Troisième vague. Et ce, à presque toutes les étapes. Une fois séchés et triés, les grains de café vert se conservent assez longtemps. Après avoir été torréfiés, par contre, les grains de café ne conservent leurs arômes que s’ils ne sont pas attaqués par l’oxygène. Au cours des sept à dix premiers jours après la torréfaction, du gaz carbonique s’échappe des grains de café, empêchant l’oxygène de pénétrer dans les grains. Après quelques jours, les grains de café cessent d’expulser du gaz carbonique et deviennent extrêmement sensibles à l’oxydation. Les opinions divergent et les estimés varient mais, selon certains partisans de la troisième vague, la majorité des arômes de certains cafés semble disparaître en dix jours après la torréfaction (malheureusement, je n’arrive pas à trouver de référence à ce sujet mais cette notion est souvent discutée). Selon certains, aucune méthode de stockage ne réussit réellement à conserver la fraîcheur du café au-delà de quelques jours. Les torréfacteurs de la troisième vague indiquent donc la date de torréfaction sur leurs paquets de café et s’assurent que leurs cafés sont distribués très rapidement. Les torréfacteurs italiens, eux, peuvent entreposer leurs grains torréfiés pendant des semaines voire des mois avant qu’ils soient utilisés pour préparer du café.
Une fois moulu, le café se dégrade beaucoup plus rapidement que sous forme de grains. Une notion assez commune dans le milieu Third Wave est qu’il ne suffit que de quelques minutes pour que certains cafés perdent leurs arômes les plus fins. La méthode de préparation du café est donc basé sur la «mouture à la minute». Pour l’espresso, la quantité de café nécessaire à préparer deux cafés (en une seule fois, avec un bec double) est la quantité maximum de café qui peut être moulue à la fois. Le contraste avec les baristas italiens est frappant puisque ceux-ci préfèrent moudre une grande quantité de café, les doseurs de leurs moulins étant conçus pour distribuer environ 7 g de café moulu par compartiment lorsque tous les compartiments sont pleins. (J’ignore combien de compartiments ces doseurs comportent mais le simple fait que le café soit moulu à l’avance semble une hérésie pour les partisans de la troisième vague.)
L’arôme du café comporte de nombreux composés volatils et, surtout dans le cas de l’espresso, ces composés se dissipent très rapidement à l’air libre. Après avoir été «tiré», un espresso troisième vague doit donc être servi très rapidement. Aussi extrême que cela puisse paraître, un délai d’une minute peut faire une différence significative dans le cas de certains cafés. Les arômes les plus éphémères du café sont souvent ceux qui procurent une expérience plus intense et c’est parfois la sensation procurée par ces arômes qui fait du café troisième vague un objet d’admiration. Les autres méthodes de préparation du café sont généralement moins sensibles à l’effet du temps. Un «café piston» (fait avec une cafetière piston), par exemple, évolue pendant qu’il se refroidit et certains arômes ne se dégagent qu’après quelques minutes. Mais si toute méthode de préparation du café peut être utilisée par des partisans de la troisième vague, c’est l’espresso qui constitue, selon les third wavers, l’apogée du café.
L’espresso à l’italienne est servi et consommé assez rapidement. Mais les arômes qui s’en dégagent sont généralement plus durables que pour l’«ultime espresso troisième vague». En fait, l’espresso à l’italienne tire plusieurs de ses arômes de la torréfaction: rôti, chocolat, noix, grillé, fruits secs… Le café de la troisième vague possède souvent des arômes qui proviennent plus directement de la variété de grains de café: épices, bleuet, agrume, tomate, fraise, cerise, abricot…
Tous ces points de comparaison entre la troisième vague et le café à l’italienne sont liés au passage du temps. Il y a d’autres distinctions. Par exemple, l’espresso à l’italienne comporte souvent une certaine proportions de grains venant de l’espèce Coffea canephora de caféier: le «café robusta». Les cafés de cet arbuste sont très généralement considérés comme de bien moindre qualité que ceux du Coffea arabica (le «café arabica»). Le robusta, peu coûteux, est le café de la consommation de base, à l’échelle globale, et non celui de la dégustation respectueuse. Les torréfacteurs italiens utilisent un peu de robusta dans leurs mélanges, à la fois pour le maintien de la crema (l’émulsion au-dessus de l’espresso) que par goût pour une certaine amertume durable. Au cours de la Troisième vague, le statut du robusta a changé quelque peu mais la plupart des torréfacteurs se réclamant de ce mouvement parlent du robusta d’une façon assez négative. Outre les caractéristiques gustatives du café produit avec une proportion de grains robusta, la méthode habituelle de culture du Coffea canephora (procédés industriels, mauvaises conditions de travail, manque de contrôles de qualité…) va à l’encontre de l’esprit Third Wave. S’il existe des «bons robustas», cultivés avec autant de soin que pour l’arabica, les torréfacteurs de la Troisième vague ne tiennent pas à les connaître.
À cause des caractéristiques propres au café utilisé, l’espresso de troisième vague nécessite généralement un contrôle très précis de la température. Alors que les mélanges à espresso italien tolèrent des larges écarts de température sans changer trop de goût, certains cafés d’origine unique utilisé pour l’espresso troisième vague a un goût très différent s’il est réalisé à moins d’un demi-degré Celsius de sa température optimale. D’ailleurs, la Troisième vague est aussi une tendance à l’utilisation d’outils très précis et à une passion pour l’exactitude. En ce sens, la Troisième vague fait beaucoup penser à la culture geek qui, elle aussi, prend sa source dans une certaine portion de la Côte Ouest.
Autre aspect important de la préparation du café troisième vague, c’est un jeu très particulier sur la mouture et le dosage du café. En fait, beaucoup de baristas de la Troisième vague ont tendance à «surdoser» (“updose”) leurs portafiltres d’une proportion bien plus grande de café que ce que voudrait une norme italienne. La technique de dispersion du café moulu dans le portafiltre et l’«écrasement» (“tamping”) de ce café moulu à l’aide d’un instrument dédié (le “tamper”) font l’objet de multiples discussions et d’un apprentissage approfondi. A contrario, certains baristas italiens n’«écrasent» pas le café moulu dans le portafiltre.
Comme l’espresso italien est généralement doté d’une certaine amertume, l’ajout d’un peu de sucre à un espresso italien est relativement commun. Il existe des Italiens (et d’autres amateurs de café) qui voient d’un assez mauvais œil l’ajout de sucre dans l’espresso, mais le goût de l’espresso à l’italienne est souvent réhaussé par quelques grains de sucre. Sans être anti-sucre, la troisième vague est orientée tout entière vers «le café en soi». Un café doit, selon eux, pouvoir «parler de lui-même». Comme avec de nombreux thés de qualité, l’ajout de sucre à un café Third Wave (peu importe la méthode de préparation!) diminue certaines saveurs plutôt que de rehausser le goût du breuvage.
Bien entendu, la Troisième vague permet la préparation de breuvages à base de lait (“milk-based”) comme le Latte macchiato, le cappuccino et le caffè latte. D’ailleurs, l’ajout du lait à ces breuvages est souvent effectué sous forme de «dessins» basés sur le contraste entre la crema de l’espresso et le lait. Pour certains, ces dessins (le “latte art”) est même un facteur important permettant de reconnaître les baristas de la Troisième vague puisque, pour être réussis, ces dessins nécessitent un soin particulier, entre autre dans la créaction d’un lait «soyeux», plein de microbulles. Par contre, la tendance troisième vague est de diminuer le plus possible la proportion de lait dans ces breuvages. Dans ce contexte, la qualité d’un espresso est souvent perçue comme supérieure à celle d’un macchiato qui est perçue comme supérieure à celle du cappuccino. Le latte, bien que devenu très populaire, est parfois considéré comme un mal nécessaire et plusieurs baristas se gaussent des chaînes de cafés qui ont fait du latte un breuvage avec une très grande quantité de lait. En compétition de barista, un critère déterminant pour l’évaluation d’un cappuccino est que la saveur de l’espresso ne soit pas masquée, renforçant encore l’idée troisième vague de mettre le café à l’honneur. Il est commun, dans la Troisième vague, de parler de grains de café (mélange ou «origine unique») qui ne conviennent pas dans les breuvages avec lait. En général, le café à l’italienne s’agrémente très facilement de lait et, dans certains cas, ne prend son sens que dans un breuvage à base de lait.
J’ai mentionné plus haut une distinction entre arômes de torréfaction et arômes de variété. En général, plus plus le degré de torréfaction est élevé (plus les grains sont foncés), plus les arômes «variétaux» disparaissent, surtout en fonction de la pyrolise. Les cafés italiens sont en général d’une torréfaction très foncée et, dans certains cas, les arômes provenant de la variété de café disparaissent complètement. En général, le café troisième vague est donc plus complexe que le café à l’italienne du point de vue olfactif à cause de la torréfaction elle-même. Certains torréfacteurs de la Troisième vague sont même tellement obsédés par les torréfactions «légères» (plus pâles) que certains de leurs cafés ont des saveurs que plusieurs trouvent déplaisantes. Mais, en général, le café troisième vague est conçu pour être balancé, complexe et «propre».
C’est d’ailleurs une caractéristique fondamentale de l’esthétique Third Wave qui est présente dans les règles des championnats de baristas. Le goût de l’espresso doit être «balancé» en ce sens qu’aucun des trois goûts fondamentaux du café (sucré, amertume, acidité/”brightness”) ne peut être dominant mais qu’il doit y avoir une dynamique entre au moins deux de ces trois goûts. C’est un peu difficile à expliquer mais très facile à percevoir. Et un espresso extraordinairement bien balancé est une véritable œuvre d’art.
Ça devrait suffire pour l’instant, comme description de la Troisième vague.
Pour revenir à Montréal…
La Renaissance du café à Montréal
À mon humble avis, l’arrivée de la Troisième vague à Montréal nous permet maintenant d’explorer le café dans toute sa splendeur. En quelque sorte, c’était la pièce qui manquait au casse-tête.
Outre l’importance de l’allongé, j’ai omis de comparer le café à l’italienne au café à la québécoise. C’est en partie parce que les différences sont un peu difficile à expliquer. Mais disons qu’il y a une certaine diversité de saveurs, à travers la dimension «à la québécoise» de la scène montréalaise du café. Malgré certains points communs, les divers cafés de Montréalais n’ont jamais été d’une très grande homogénéité, au niveau du goût. Les ressemblances venaient surtout de l’utilisation des quelques maisons de torréfaction locales plutôt que d’une unité conceptuelle sur la façon de faire le café. D’ailleurs, j’ai souvent perçu qu’il y avait eu une baisse de diversité dans les goûts proposés par différents cafés montréalais au cours des quinze dernières années, et je considère ce processus de quasi-standardisation (qui n’a jamais été menée à terme) comme un aspect néfaste de cette période dans l’histoire du café à Montréal. Les nouveaux développements de la scène montréalaise du café me donne espoir que la diversité de cette scène grandit de nouveau après cette période de «consolidation».
D’ailleurs, c’est non sans fierté que je pense au fait que les grandes chaînes «étrangères» de cafés ont eu de la difficulté à s’implanter à Montréal. Si Montréal n’a eu sa première succursale Starbucks qu’après plusieurs autres villes nord-américaines et si Second Cup a rapidement dû fermer une de ses succursales montréalaises, c’est entre autres parce que la scène montréalaise du café était très vivante, bien avant l’arrivée des chaînes. D’ailleurs, plusieurs chaînes se sont développé localement avant de se disperser à l’extérieur de Montréal. Le résultat est qu’il y a probablement, à l’heure actuelle, autant sinon plus de succursales de chaînes de cafés à Montréal que dans n’importe autre grande ville, mais qu’une proportion significative de ces cafés est originaire de Montréal. Si l’existence de chaînes locales de cafés n’a aucune corrélation avec la qualité moyenne du café qu’on dans une région donnée (j’ai même tendance à croire qu’il y a une corrélation inverse entre le nombre de chaînes et la qualité moyenne du café), la «conception montréalaise» du café me semble révêlée par les difficultés rencontrées par les chaînes extrogènes.
En fait, une caractéristique de la scène du café à Montréal est que la diversité est liée à la diversité de la population. Non seulement la diversité linguistique, culturelle, ethnique et sociale. Mais la diversité en terme de goûts et de perspectives. La diversité humaine à Montréal évoque l’image de la «salade mixte»: un mélange harmonieux mais avec des éléments qui demeurent distincts. D’aucuns diront que c’est le propre de toute grande ville, d’être intégrée de la sorte. D’autres diront que Montréal est moins bien intégrée que telle ou telle autre grande ville. Mais le portrait que j’essaie de brosser n’est ni plus beau, ni plus original que celui d’une autre ville. Il est simplement typique.
Outre les cafés «à la québécoise», «à l’italienne» et «troisième vague» que j’ai décrits, Montréal dispose de plusieurs cafés qui sont liés à diverses communautés. Oui, je pense à des cafés liés à des communautés culturelles, comme un café guatémaltèque ou un café libanais. Mais aussi à des cafés liés à des groupes sociaux particuliers ou à des communautés religieuses. Au point de vue du goût, le café servi à ces divers endroits n’est peut-être pas si distinctif. Mais l’expérience du café prend un sens spécifique à chacun de ces endroits.
Et si j’ai parlé presqu’exclusivement de commerces liés au café, je pense beaucoup à la dimension disons «domestique» du café.
Selon moi, la population de la région montréalaise a le potentiel d’un réel engouement pour le café de qualité. Même s’ils n’ont pas toujours une connaissance très approfondie du café et même s’il consomme du café de moins bonne qualité, plusieurs Montréalais semblent très intéressés par le café. Certains d’entre eux croient connaître le café au point de ne pas vouloir en découvrir d’autres aspects. Mais les discussions sur le goût du café sont monnaie courante parmi des gens de divers milieux, ne serait-ce que dans le choix de certains cafés.
Évidemment, ces discussions ont lieu ailleurs et le café m’a souvent aidé à m’intégrer à des réseaux sociaux de villes où j’ai habité. Mais ce que je crois être assez particulier à Montréal, c’est qu’il ne semble pas y avoir une «idéologie dominante» du café. Certains amateurs de café (et certains professionnels du café) sont très dogmatiques, voire doctrinaires. Mais je ne perçois aucune idée sur le café qui serait réellement acquise par tous. Il y a des Tim Hortons et des Starbucks à Montréal mais, contrairement à d’autres coins du continent, il ne semble pas y avoir un café qui fait consensus.
Par contre, il y a une sorte de petite oligarchie. Quelques maisons de torréfaction et de distribution du café semblent avoir une bonne part du marché. Je pense surtout à Union, Brossard et Van Houtte (qui a aussi une chaîne de café et qui était pris à une certaine époque comme exemple de succès financier). À ce que je sache, ces trois entreprises sont locales. À l’échelle globale, l’oligarchie du monde du café est constituée par Nestlé, Sara Lee, Kraft et Proctor & Gamble. J’imagine facilement que ces multinationales ont autant de succès à Montréal qu’ailleurs dans le monde mais je trouve intéressant de penser au poids relatif de quelques chaînes locales.
Parlant de chaînes locales, je crois que certaines entreprises locales peuvent avoir un rôle déterminant dans la «Renaissance du café à Montréal». Je pense surtout à Café Terra de Carlo Granito, à Café Mystique et Toi, Moi & Café de Sevan Istanboulian, à Café Rico de Sévanne Kordahi et à la coop La Maison verte à Notre-Dame-de-Grâce. Ces choix peuvent sembler par trop personnels, voire arbitraires. Mais chaque élément me semble représentatif de la scène montréalaise du café. Carlo Granito, par exemple, a participé récemment à l’émission Samedi et rien d’autre de Radio-Canada, en compagnie de Philippe Mollé (audio de 14:30 à 32:30). Sevan Istanboulian est juge certifié du World Barista Championship et distribue ses cafés à des endroits stratégiques. Sévanne Kordahi a su concentrer ses activités dans des domaines spécifiques et ses cafés sont fort appréciés par des groupes d’étudiants (entre autres grâce à un rabais étudiant). Puis j’ai appris dernièrement que La Maison verte servait du Café Femenino qui met de l’avant une des plus importantes dimensions éthiques du monde du café.
Pour revenir au «commun des mortels», l’amateur de café. Au-delà de la spécificité locale, je crois qu’une scène du café se bâtit par une dynamique entre individus, une série de «petites choses qui finissent par faire une différence». Et c’est cette dynamique qui me rend confiant.
La communauté des enthousiastes du café à Montréal est somme toute assez petite mais bien vivante. Et je me place dans les rangs de cette communauté.
Certains d’entre nous avons participé à divers événements ensemble, comme des dégustations et des séances de préparation de café. Les discussions à propos du café se multiplient, entre nous. D’ailleurs, nous nous croisons assez régulièrement, dans l’un ou l’autre des hauts lieux du café à Montréal. D’ailleurs, d’autres dimensions du monde culinaire sont représentés parmi nous, depuis la bière artisanale au végétalianisme en passant par le chocolat et le thé. Ces liens peuvent sembler évident mais c’est surtout parce que chacun d’entre nous fait partie de différents réseaux que la communauté me semble riche. En discutant ensemble, nous en venons à parler de plusieurs autres arts culinaires au-delà du café, ce qui renforce les liens entre le café et le reste du monde culinaire. En parlant de café avec nos autres amis, nous créons un effet de vague, puisque nous participons à des milieux distincts. C’est d’ailleurs une représentation assez efficace de ce que je continue d’appeler «l’effet du papillon social»: le battement de ses ailes se répercute dans divers environnements. Si la friction n’est pas trop grande, l’onde de choc provenant de notre communauté risque de se faire sentir dans l’ensemble de la scène du café à Montréal.
Pour boucler la boucle (avant d’aller me coucher), je dois souligner le fait que, depuis peu, le lieu de rencontre privilégié de notre petit groupe d’enthousiastes est le Café Myriade.
Bonjour Alexandre,
J’ai beaucoup aimé lire votre article fleuve sur l’évolution du café à la montréalaise.
Je suis passionné (en amateur) de l’espresso depuis plusieurs années, mais j’habite à Québec et j’ai vraiment l’impression de prêcher dand le désert. Il est très difficile de trouver du bon espresso dans la ville, un exception notable étant Sylvano Boutique sur le chemin Sainte-Foy. En dehors de ça, c’est le café palotte et insipide des machines automatiques (hélas de plus en plus présentes), et en général de l’espresso fabriqué dans l’ignorance la plus totale de ce qui en fait la qualité. Je pense qu’il y a un déficit de culture à cet égard et de formation.
En ce qui a trait à la torréfaction à Montréal, j’aimerais vous signaler la compagnie Adélia, qui fait à mon avis un travail remarquable.
Au plaisir de vous relire et salutations de Québec…
@Bastien Merci pour le commentaire!
Je comprends bien ce que tu dis à propos de Québec. D’ailleurs, j’y ai quelques amis et je devrais vous mettre tous en contact. Un est en train d’ouvrir son propre café (si ce n’est déjà fait). Un autre est un véritable «geek de café». Et encore un autre qui aime beaucoup le café mais qui ne passe pas son temps à tenter diverses choses.
Si Nic a ouvert son café, ça devrait vouloir dire que Québec a au moins un digne représentant des compétitions de baristas.
Si c’est pas le cas, ce que je conseillerais c’est la torréfaction maison et les cafétières moka. À South Bend, en Indiana, c’est comme ça que j’ai eu de superbes expériences de café. D’ailleurs, ç’a été une période assez intense, pour moi, côté café. Un peu la même chose à Moncton, d’ailleurs. Il y avait du café qui valait la peine, mais c’est surtout là que je me suis mis à torréfier.
Par contre, ce qui serait préférable en général, c’est si le café (re)devenait important à Québec. La tendance, au Québec, c’est un peu de tenir le café pour acquis. Il y a de l’espresso à différents endroits, mais il est rarement excellent. Ce serait bien de pouvoir se sortir d’une espèce de torpeur et de se réveiller à d’autres expériences du café.
Je pense à des endroits comme des cafés du Vieux-Québec ou de la rue Cartier. Et à des endroits que j’ai décrits dans la section sur le café «à la québécoise», comme la Brûlerie Saint-Denis et le Santropol. Ils ont ce qu’il faut pour faire de l’excellent espresso, mais il manque généralement un petit quelque-chose.
Entouka, ça demande analyse plus approfondie.
D’ailleurs, je serai à Québec au début février et je vais essayer d’observer la scène du café là-bas.
>Si Nic a ouvert son café, ça devrait vouloir dire que Québec a au moins un digne représentant des compétitions de baristas.
Quel est le nom du café? J’y cours…
Oui, la torréfaction personnelle m’est rapidement apparue comme la seule solution satisfaisante… Même avec un p’tit torréfacteur Fresh Roast à $100, ça fait 2 ans que je n’ai eu aucune envie d’acheter du café. La seule exception fut avec du Adelia *frais*. Je ne sais pas pourquoi, mais les torréfacteurs locaux font dans le café ultra huileux et brulé en général…
Je viens de boucler la lacune principale de mon équipement avec un excellent moulin Anfim qui accompagne maintenant ma Vibiemme bien aimée. Dans les instruments non électriques, ma cafetière préférée et celle qui m’a donné envie de découvrir l’univers de l’espresso est la Bellman Cappuccino Maker.
http://www.coffeecrew.com/content/view/392/27/
Par ailleurs, je pense que ce qui menace l’univers de l’espresso dans les endroits publiques et qui risque de diminuer encore plus le niveau de compétence générale des opérateurs est vraiment la prolifération des machine automatiques. C’est une solution médiocre et facile qui séduit de plus en plus de restaurateurs. Après m’être fait avoir quelques fois, je pense que je vais systématiquement dans le futur demander si ce qu’ils appellent un “espresso” est produit par une machine automatique en plastique… Par ailleurs, je pense que je vais aussi systématiquement le souligner poliment dans le futur aux gens qui servent lorsque l’espresso n’est pas fait de manière convenable. Comme ça, ils se réveilleront peut-être…
@Bastien J’étais chez Myriade quand j’ai vu ton message et j’en ai parlé à Anthony. Selon lui, on en aurait entendu parler si Nic avait ouvert son café.
J’utilise une machine à popcorn, pour torréfier. Malgré ce que disent les gens, ça me convient bien. J’aimerais m’acheter une machine «dédiée» (probablement une i-Roast 2) mais je peux pas vraiment investir cet argent. Étrangement, on en trouve pas sur eBay.
Pour ce qui est des torréfacteurs locaux, c’est très courant d’obtenir du café torréfié trop foncé (huileux et brûlé). Plusieurs raisons: le goût change moins en fonction des grains de café utilisé (ce qui permet de contrôlé d’un lot à l’autre: question de “consistency”), le café dure un peu plus longtemps, le goût du café perce plus facilement à travers le lait et les gens semblent percevoir la torréfaction foncée comme une bonne chose, entre autres à cause de Starbucks.
Personnellement, j’ai bu du très bon café fait avec des torréfactions très foncées. Mais on perd toutes sortes de subtilités, surtout en espresso.
Bon choix, l’Anfim. C’est ce qu’ils utilisent chez Myriade. Mon moulin est bien moins performant mais il est approprié pour ce que je fais à la maison. C’est un Bodum Antigua.
Ce que j’utilise le plus souvent, c’est du cafétière moka style Bialetti Moka Express. Mais j’utilise aussi une Brikka de Bialetti ainsi qu’une «seringue» AeroPress. Sans oublier une cafétière piston Bodum et un pot type turc cezve/ibrik.
Pour ce qui est des super-autos, c’est un assez gros problème. Il y a une succursale Java U près de Myriade (Guy/Maisonneuve) qui pouvait faire de l’espresso correct sur une semi-auto mais ils sont maintenant sur une Franke (super-auto bleue en plastique). J’avoue que je comprends pas du tout leur décision. Le café est maintenant imbuvable et je peux pas croire que ça puisse leur sauver de l’argent.
À Ottawa, ils font le contraire, ils passent de super-autos à des semi-autos. Ils ont des Synesso (et peut-être des La Marzocco, je sais plus). Je suis allé plusieurs fois à la succursale où Brendan Butt travaille et j’ai pu y boire du très bon espresso.