Bien parler?

C’est plutôt dommage. Certaines personnes semblent encore croire qu’il
y a des bonnes et des mauvaises façons de parler. Qu’une langue peut
être d’une certaine qualité. Évidemment, la bonne langue, c’est la
sienne propre. La langue mal parlée, c’est celle des autres.
Classique! C’est quoi ça? Du «glossocentrisme» par parallèle à
l’ethnocentrisme (prendre sa culture comme mieux que celle des autres)?

Pourtant, il est maintenant rare que les gens aient des propos aussi
désobligeants à l’égard de la culture de l’autre. Pas que les gens ne
se croient pas bien supérieurs aux autres. Mais sans doute à cause de
la rectitude politique, les gens ne diront pas que la culture
écossaise est bien mieux que la culture slovaque. Quoique…

Les gens condamnent des pratiques (culturelles ou linguistiques), en
bloc, sans penser aux ramifications. Leur propre perspective est
suffisante, ils ont tout compris. Peu importe les raisons qu’ils
utilisent, s’ils sont opiniâtres, c’est qu’ils sont au-dessus de tout
et de tous.

La critique, c’est bien, mais faut voir ce que ça cible. Cibler un
discours spécifique, en dénoncer la nature fallacieuse, c’est la
moindre des choses que nous puissions faire. Condamner un groupe de
façon péremptoire parce qu’il s’exprime ou se comporte différemment de
nous, c’est peut-être rassurant, mais c’est absurde et ça a des
conséquences néfastes dans la communication entre individus de
différents groupes. C’est encourager l’intolérance.

Oh, on ne parle pas de caricature. Une caricature efficace provient
d’une compréhension profonde de certains comportements. Biaisée, bien
sûr, mais profonde. Jouer sur les stéréotypes peut même aider à
déconstruire ces stéréotypes. Mais énoncer des généralisations sur un
groupe humain sans se rendre compte que ce ne sont que des
stéréotypes, c’est une façon de renforcer des opinions trop rapides,
des préconceptions.

Pour revenir au langage. La façon la plus facile de décrire la
situation est de parler de perspectives «descriptive» et
«prescriptive» sur la langue. La description linguistique, c’est ce
que les spécialistes en sciences du langage font. Ils décrivent les
caractéristiques spécifiques de diverses langues et diverses variétés
de langues. Cette description est basée sur une compréhension du
langage humain comme mode de communication.

Le mode «prescriptif», c’est le «disez pas ‘disez‘, disez ‘dites‘» (citation réelle). Ça fonctionne très bien dans un contexte spécifique, ce que démontre la citation. En contexte plus formel, la variante «disez» est inappropriée de la même
façon que le mot «néanmoins» est inapproprié dans une discussion
informelle, du moins dans certaines communautés linguistiques.
L’optique prescriptive sert généralement à renforcer les formes
appropriées en contexte formel, les contextes informels disposant de
leurs propres mécanismes de régulation.

Pour certains, il s’agit d’une distinction entre l’oral et l’écrit
mais certaines formes orales (déclaration solenelle, poésie…) sont
plus formelles que beaucoup de formes écrites et certaines formes
écrites (messagerie directe sur le ‘Net) sont plus informelles que
beaucoup de formes orales.

Bien sûr, le degré de formalité n’est qu’une dimension parmi d’autres.
Le type de langage utilisé par des brasseurs entre eux n’est pas plus
ou moins informels que celui utilisé par deux chirurgiennes entre
elles. Les deux sont valables en contexte. Mais ce sont des variétés
très différentes.

Les locuteurs, surtout francophones, sont conditionnés (si!) par la
notion de «niveau» de langue, qui sont généralement placés dans une
hiérarchie et souvent considérés comme complètement distincts les uns
des autres. Pourtant, le «niveau» scientifique est-il plus ou moins
élevé que le «niveau» littéraire? Et n’y a-t-il pas de pont entre ces
deux «niveaux» dans diverses productions langagières?

Ce sont des principes de base, très simples. Certains de ceux qui
gueulent contre la langue des autres et qui croient «bien parler»
auraient avantage à les comprendre avant d’imposer leur vision du
langage aux autres. Ils se comportent parfois comme quelqu’un qui
parlerait d’équipement informatique en parlant de la qualité des
«bits» que tel ordinateur peut transférer. L’analogie se poursuit même
un peu plus puisque les mots du langage humain, comme les «mots» en
informatique, servent à la transmission d’information et dépendent
tous deux d’encodage et de décodage. D’ailleurs, l’informatique a
largement été influencée par la linguistique. Et vice-versa.

Quoi qu’il en soit, l’idée c’est que les unités linguistiques (tout
comme les «bits») n’ont aucune valeur absolue. Les gens peuvent leur
assigner des valeurs (j’ai le droit de trouver 10010101 plus beau que
11000111) mais la référence d’une unité dépend d’un contexte
spécifique («il y a 10 types de gens: ceux qui comprennent le binaire
et ceux qui ne le comprennent pas»).

Marina Yaguello a publié un livre très facile d’accès qui peut aider
les gens à comprendre ce genre de question: Catalogue des idées
reçues sur la langue
. Il est disponible à la FNAC et
sur Amazon.fr
mais semble épuisé chez Renaud-Bray et sur Amazon.com.

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